Professeur agrégé Nayi Zongo: « le cancer du sein est devenu le plus fréquent des cancers de la femme au Burkina »

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Il est du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo au Burkina Faso (CHU-YO). Nayi Zongo, professeur agrégé, nous renseigne sur le cancer du sein.

 

Santeactu.bf : Qu’est-ce que le cancer du sein ?

 

Pr Nayi Zongo : Le cancer, de façon générale, est un ensemble de cellules ayant échappé au contrôle de l’organisme, devenant autonomes, vivant aux dépens de cet organisme et se multipliant sans tenir compte de ses besoins. Le but ultime étant l’envahissement de l’organe à partir duquel il s’est développé, des organes de voisinage et enfin à la mort de l’hôte. On parle de cancer du sein quand ce processus a lieu au niveau d’un ou des deux seins.

 

Est-ce qu’il y a une augmentation des cas au Burkina ?

 

Le cancer du sein est devenu le plus fréquent des cancers de la femme au Burkina Faso. Il représente 55% des cancers féminins contre 26% pour le cancer du col de l’utérus. Cela est lié à plusieurs facteurs tels le vieillissement de la population burkinabè (principe de BALDUCCI), c’est-à-dire une amélioration de l’espérance de vie; l’action de sensibilisation de la population par les associations comme la Ligue burkinabè contre le cancer du sein (LIBUCAS), KIMI, Eureka; une meilleure détection en rapport avec une augmentation du nombre des agents de santé compétents ; une meilleure politique gouvernementale.

 Qu’est-ce qui provoque le cancer du sein ?

 

Le cancer du sein peut être dû aux facteurs familiaux ou génétiques.

Concernant les facteurs génétiques, on distingue la prédisposition familiale où le risque est 2 à 3 fois plus élevé si une parente de 1er degré est atteinte d’un cancer du sein surtout avant 40 ans ou lorsqu’il s’agit d’un cancer bilatéral. Le cancer du sein est dit héréditaire lorsque 3 personnes liées au 1er degré appartenant à une ou plusieurs générations sont atteintes par un cancer du sein ou de l’ovaire sur une ou plusieurs générations. Ce cancer est lié à des mutations génétiques (BRCA 1, BRCA2, syndrome de Li-Freumani).

Pour ce qui est des facteurs non familiaux, il y a l’âge. En principe, rare avant 50 ans dans le monde, les moins de 40 ans supportent plus d’un tiers des cas de cancers du sein en Afrique. Il y a aussi la féminité. En effet, 96 à 99% des cancers du sein surviennent chez la femme. L’explication la plus plausible reste un développement plus important de la glande mammaire dans le sexe féminin. Qu’à cela ne tienne, nous avons noté au Burkina Faso, 51 cas de cancer du sein de l’homme représentant 2,6% de l’ensemble des cancers du sein (voir Zongo N, male breast cancer, PubMed). Des facteurs hormonaux (hyperoestrogenie) influencent la survenue du cancer du sein. On note la puberté précoce avant 12 ans et la ménopause tardive après 55 ans ; la pauciparité, la nulliparité, la première grossesse tardive, après 40 ans mais aussi le traitement substitutif de la ménopause prescrit pendant plus de 10 ans.

Les facteurs métaboliques sont impliqués dans la survenue du cancer du sein. Les diabétiques et les obèses font beaucoup plus de cancers de sein par rapport à la population générale.

Le cancer du sein peut également être le résultat des habitudes alimentaires notamment le sucre, les graisses d’origine animale ; du mode de vie comme l’abus d’alcool, du tabac, la sédentarité et de l’environnement notamment les radiations ionisantes.

Les caractéristiques liées au sein peuvent être des causes de cancer de sein. Ce sont la gigantomastie, c’est-à-dire les seins trop volumineux, la densité à la mammographie. En effet, le risque du cancer du sein augmente avec le niveau de densité des tissus mammaires à la mammographie.

Les pathologies bénignes et lésions précancéreuses peuvent également être source de cancer du sein. Il y a les antécédents de mastopathies bénignes comme les abcès, les adénofibromes, les autres affections non cancéreuses (actuellement remises en cause) et les lésions précancéreuses (hyperplasie atypique).

A côté de tous ces éléments qui prédisposent au cancer du sein, il y a les facteurs protecteurs. En effet, plusieurs grossesses et un allaitement prolongé pourraient diminuer le risque de développer un cancer du sein, de même que l’activité physique.

 Quels sont les signes qui alertent ?

 

Il n’y a pas de signes pathognomoniques, c’est-à-dire dont la présence est synonyme d’un cancer du sein.  C’est pourquoi tous les signes, toute modification du sein, sans inquiéter, doivent alerter et pousser à la consultation médicale. Ce sont essentiellement :

  • Les douleurs mammaires ou mastodynie
  • L’augmentation du volume d’un sein
  • L’asymétrie des seins
  • L’inflammation de la peau du sein : peau d’orange
  • L’ulcération chronique du sein, c’est-à-dire une plaie qui ne cicatrise pas
  • L’aspect cicatriciel de la peau
  • La nécrose du sein. Les tumeurs nécrosées représentent 10% des cancers du sein au Burkina Faso.
  • L’écoulement mamelonnaire, c’est-à-dire l’issue de liquide en dehors des périodes d’allaitement
  • La rétraction mamelonnaire, c’est-à-dire un mamelon qui s’enfonce dans le sein
  • L’ulcération du mamelon, c’est-à-dire une plaie du mamelon (maladie de Paget)
  • Voussure axillaire, c’est-à-dire une tuméfaction, un gonflement du sein…

Tous ces signes doivent alerter et conduire à la consultation médicale, à la réalisation d’examens complémentaires (échographie, mammographie, histologie) pour confirmer ou infirmer le diagnostic du cancer du sein.

 

A partir de quel âge est-on le plus exposé au cancer du sein ?

 

Dans le monde, les cancers surviennent entre 50 et 70 ans. Cependant en Afrique, les âges moyens au Burkina Faso, au Sénégal comme en Côte d’Ivoire, oscillent entre 40 et 48 ans. Le cancer du sein a un visage jeune en Afrique.

Qu’en est-il du traitement du cancer du sein ?

 

Le traitement du cancer du sein est multimodal. Il peut être local et locorégional.  Dans ce cas, la chirurgie est la plus grande pourvoyeuse de guérison et la radiothérapie renforce les effets bénéfiques de la chirurgie en réduisant le risque de récidive.

Le traitement qui est général est relatif à la chimiothérapie, à l’hormonothérapie, aux thérapies ciblées et à l’immunothérapie. Ces traitements médicaux sont utilisés pour des formes avancées et/ou agressives le plus souvent.

Peut-on guérir du cancer du sein sans séquelles ?

 

Absolument. De plus en plus, nous recevons des patientes avec des cancers du sein à son début. Cela permet de faire une chirurgie curative, tout en laissant sur place un sein esthétiquement acceptable et une vie normale. Certains de ces cancers n’auront pas besoin de traitement par chimiothérapie, ce qui réduit aussi le coût des soins et le poids du traitement pour la patiente.

Qu’entend-on par reconstruction mammaire ?

 

Au sens large du terme, reconstruire un sein signifie redonner une allure normale à la femme ayant été traitée chirurgicalement pour un cancer du sein.

Lors de la chirurgie conservatrice, on reconstruit par le remodelage pour obtenir une forme normale, jolie du sein (oncoplastie mammaire)

Lors de la chirurgie radicale, c’est-à-dire de la mastectomie totale, on reconstruit le sein soit grâce à la mobilisation de tissus, de lambeaux du même organisme, on parle de reconstruction autologue.

Ou alors grâce à des prothèses faites de silicone ayant la forme du sein, placées au cours d’une chirurgie secondaire (reconstruction différée) ou lors de la mastectomie (reconstruction immédiate).

Au Burkina Faso, la ligue Burkina contre le cancer du sein (LIBUCAS), grâce à des partenariats, disponibilise de temps en temps des prothèses que les femmes peuvent porter sous leurs soutiens- gorges. Cela leur donne une allure normale lorsqu’elles sont habillées et par conséquent de l’assurance, de l’estime de soi, choses nécessaires pour la réinsertion sociale.

 

Peut-on en faire au Burkina Faso et combien cela peut-il coûter ?

 

Absolument. Le coût reste fonction du type de reconstruction.

Qu’en est-il des prothèses mammaires au Burkina Faso ?

 

Les prothèses mammaires seront disponibles quand nous disposerons des moyens nécessaires pour nous en procurer. Les compétences pour placer les prothèses mammaires sont disponibles. Cependant, ces prothèses restent hors de portée financière de la plupart de nos patientes. Par conséquent, les pharmaciens n’en disponibilisent pas dans leur pharmacie. Quand la demande sera forte et soutenue par une subvention crédible, toutes nos femmes seront reconstruites.

 

Peut-on se soigner au Burkina sans être évacué quand on a un cancer du sein ?

 

Nous disposons des moyens de traitement du cancer du sein mais aussi des compétences nécessaires au Burkina Faso. Le seul moyen qui manque est la radiothérapie dont nous espérons disposer bientôt.

De quoi le Burkina Faso a-t-il besoin pour pouvoir prendre en charge totalement les malades du cancer du sein ?

 

La radiothérapie, la radiothérapie et encore la radiothérapie.

Mais aussi de la solidarité, la solidarité, et encore de la solidarité.

 

Un mot pour clore cet entretien

 

Il n’existe pas encore de moyens pour prévenir le cancer du sein mais une démarche méthodique permet d’éviter aux femmes de mourir de cancer du sein.

La LIBUCAS propose une formule claire qui s’apparente à un numéro de téléphone : 20354050. Cela signifie que :

-A partir de 20 ans : chaque femme doit faire l’autoexamen des seins tous les mois ;

-A partir de 35 ans : en plus de l’autoexamen des seins, chaque femme doit bénéficier annuellement d’un examen médical de ses seins ;

-Entre 40 et 50 ans : chaque femme doit réaliser une mammographie tous les 3 ans. Important car les moyennes d’âge de survenue du cancer du sein en Afrique oscillent entre 40 et 50 ans

-A partir de 50 ans : chaque femme doit réaliser une mammographie tous les deux ans, conformément au standard mondial.

Propos recueillis par Françoise DEMBELE

 

 

 

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