Jeûne du Ramadan : « il faut boire suffisamment d’eau après la rupture pour un bon état d’hydratation le lendemain » (Dr Steve Léonce Zoungrana)

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Dr Steve Léonce Zoungrana, Hépato-gastroentérologue-nutritionniste, aborde le thème du jeûne du Ramadan dans un contexte de la maladie à coronavirus. Par ailleurs président de l’ONG Promouvoir la nutrition et l’hygiène en Afrique (PNHA) et Enseignant à l’Université de Ouahigouya, Dr Zoungrana donne des conseils  pour s’alimenter pendant cette période  afin d’éviter les indigestions ou d’autres problèmes de santé à la fin du Ramadan.

 

« Santeactu.bf » : Quels sont les impacts du jeûne pratiqué par les musulmans sur l’organisme ?

Dr Steve Léonce Zoungrana : Un jeûne comme celui pratiqué par les musulmans ne devrait pas poser des problèmes de santé si l’alimentation est bien conduite. En effet, il s’agit d’un jeûne court qui ne se fait que sur une demi-journée (environ 13h). C’est à partir de 18 à 20 heures que le jeûne devient dangereux pour la santé. Une alimentation bien conduite suppose la consommation de tous les nutriments indispensables au bon fonctionnement de l’organisme y compris l’eau. La déshydratation peut survenir si l’apport en eau n’a pas été suffisant pendant la phase précédant le jeûne. On peut effectivement ressentir de la fatigue et une baisse des performances physiques et intellectuelles, de l’attention dans la journée.

 

Le jeûne commence à 4 h du matin, quels types d’aliments sont adaptés pour bien réussir son jeûne ?

 

Au début du jeûne le matin, il s’agira de consommer le premier repas de la journée. Il est le plus important des trois repas que nous conseillons dans la journée. C’est celui qui précède le jeûne et c’est pour cela qu’il ne faut pas le négliger. Il doit être consistant. C’est de ce repas que l’organisme va tirer toute l’énergie dont il aura besoin jusqu’à la rupture du jeûne. C’est en ce moment qu’il faudra boire suffisamment d’eau pour se constituer des réserves afin d’éviter la déshydratation. Le repas devra être équilibré en quantité et en qualité. Il va comporter des sucres complexes ou lents : céréales (riz, tô, bouillie de céréales, pain), tubercules (igname, pomme de terre etc.), qui seront disponibles pour l’organisme toute la journée. On pourra également consommer des protéines animales telles que la viande, le lait, ainsi que des fruits. Bien entendu ce régime sera adapté à la disponibilité alimentaire, aux goûts et habitudes de chacun. Ce type de régime est équilibré et apporte tous les macronutriments (sucres, protéines, un peu de graisses) et micronutriments indispensables (vitamines et sels minéraux).

Quels types d’aliments sont adaptés à la rupture du jeûne le soir ?

 

A la rupture du jeûne, il faut doubler la prise alimentaire :

– La première prise alimentaire qui correspond au deuxième repas de la journée est celle de la rupture du jeûne qui a lieu au coucher du soleil (18 h et 18 h 30mn). Il faut manger des aliments un peu sucrés et bien s’hydrater pour nourrir rapidement l’organisme et lui permettre de récupérer de la journée. Les aliments sucrés peuvent provenir de la bouillie de céréales (petit mil, riz, maïs), traditionnellement consommées avec d’autres boissons sucrées comme le «bissap», le «zom-kom». On peut également consommer des dattes et des boissons chaudes sucrées (thé, tisanes). Ces sucres dits simples ou rapides passent vite dans le sang, permettant de soulager rapidement la sensation de faim. Il permettra au jeûneur d’aller prier sereinement. Ce repas doit être léger pour permettre d’apaiser les sensations de soif et de faim résultant de la journée. La consommation des aliments sucrés doit être modérée, car ils sont très riches en énergie et palatables. Pour 100 g de sucres soit 20 carreaux équivalent à 420 calories, 100 g de dattes à 555 calories en sachant qu’une femme adulte n’a besoin que de 2400 calories environ par jour. S’ils sont consommés en excès, ils peuvent occasionner une prise de poids liée à la forte sécrétion d’insuline.
-La deuxième prise alimentaire qui correspond au troisième repas de la journée est située environ 1h30 mn à 2 h après le second. Il doit respecter la satiété sans pour autant être lourd et trop copieux. Il faudra éviter de manger en ce moment des aliments énergétiques, trop gras, surtout les graisses animales (viandes grasses, abats, beurre, etc.), qui augmentent le taux de cholestérol dans le sang et favorisent la survenue des maladies cardio-vasculaires. Il en est de même des féculents surtout sous forme de fritures (100 g de pomme de terre frites délivrent 400 calories). Il ne sert à rien de manger beaucoup avant de dormir puisque tout ce qui est mangé sera stocké pendant la nuit. L’assimilation des aliments est optimale avant l’effort, pas avant le repos. Si le repas est trop lourd, la sensation de faim ne se fera pas sentir au matin et pourrait faire sauter le petit déjeuner précédent le début du jeûne. Par exemple, on pourra commencer le repas par une soupe, par des crudités avec une vinaigrette allégée. On pourra également consommer des viandes et poissons maigres, accompagnés d’un peu de féculents et terminer le repas par des fruits ou des produits laitiers. En somme, ce repas doit être léger mais rassasiant, n’apportant pas trop d’énergie. Il met l’accent sur les protéines avec très peu de féculents (riz, tô, etc.). Il ne faut pas oublier également de boire suffisamment d’eau toute la soirée après la rupture afin d’obtenir un bon état d’hydratation le lendemain.

Nous insistons sur la nécessité de s’hydrater surtout que cette année il fait vraiment chaud. L’eau  est l’élément le plus indispensable de tous. A température modérée, la suppression de l’apport en eau provoque la mort en 2 à 3 jours. Chaque jour nous perdons environ 3 litres d’eau (les selles, la perspiration, la transpiration, les urines) et il faut les remplacer.Cette eau sera répartie entre le lever du soleil (début du jeûne) et le coucher du soleil.

Y’a-t-il un régime particulier pour le jeûneur ?

 

Pas en tant que tel, il faut simplement adapter son alimentation à ses goûts, ses moyens financiers et la disponibilité de certains aliments. Cependant, il faut veiller à respecter les principes qui ont été énoncés plus haut.

Quelles sont les précautions pour les personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques, et qui tiennent à jeûner ?

 

Chez les seniors (sujets âgés de plus de 60  ans) par exemple, la consommation d’un produit laitier (lait frais, yaourt, fromage etc)  est essentielle pour assurer des apports conséquents en calcium et vitamine D nécessaires à la minéralisation des os qui tendent à se fragiliser. Il faut entre 1000 et 1200 mg de calcium par jour. Il leur faut consommer aussi beaucoup de fibres alimentaires ( fruits, légumes, céréales complètes) pour éviter la constipation avec son lot de complications délétères à cet âge : occlusion intestinale, colectasie (distension gazeuse de l’intestin).

Le jeûne est vivement déconseillé aux personnes souffrant de maladies chroniques, surtout les personnes âgées. Pourtant, certains tiennent à jeûner, malgré les risques pour leur santé. Ces patients devraient consulter d’abord leurs médecins traitant qui pourra faire un bilan et décider. Pendant le jeûne, la surveillance devra se poursuivre et même en fin de jeûne une évaluation finale de l’état de santé du patient jeûneur devra se faire. Les maladies chroniques sont par exemple le diabète, l’hypertension artérielle, l’insuffisance rénale chronique pour ne citer que celles-ci. Elles requièrent une prise quotidienne et parfois fréquente de médicaments (2 à 3 prises par jour). Changer les horaires de prise des médicaments ou en sauter quelques-unes et exposer son corps à plus de 12 heures de jeûne, n’est pas sans conséquences pour certains malades chroniques notamment les hypertendus ou les diabétiques.

Les patients ulcéreux quant à eux vont voir l’intensité de la douleur de l’estomac augmenter avec le jeûne avec le risque de survenues de complications (saignement, perforation).

 

Concernant les personnes qui souffrent de la COVID-19, peuvent –elles jeûner ? Et Qu’en est-il du jeûne dans le contexte du COVID-19

 

A ce jour, nous n’avons pas connaissance d’une  étude  réalisée sur le jeûne et le risque d’infection par le virus de la Covid-19. Si les personnes en bonne santé devraient pouvoir jeûner pendant ce ramadan, comme les années précédentes, les patients atteints de Covid-19 devraient toutefois « envisager de ne pas le faire ». « Ils doivent suivre les dérogations prévues par la religion, en concertation avec leur médecin, comme pour toute autre maladie », note l’OMS.

Il est connu en nutrition que le syndrome de détresse respiratoire aigüe causée par la COVID-19 crée un surplus de besoins énergétiques Donc dans une telle situation les apports alimentaires doivent être suffisants pour couvrir les besoins. On est même souvent obligé de faire appel à des compléments nutritionnels oraux (CNO) ou à la Nutrition entérale à travers une sonde placée dans l’estomac. Vous conviendrez avec moi que dans un tel contexte jeûner risque d’aggraver l’état du patient.

Comment doit-on s’alimenter pendant cette période pour éviter les indigestions ou d’autres problèmes de santé à la fin du Ramadan ?

 

 Il y a des risques sur la santé si le jeûne n’est pas bien conduit. Il faut suivre une certaine rigueur alimentaire. Certaines personnes peuvent prendre jusqu’à 10 Kg durant cette période de jeûne. Il ne faut justement pas trop manger au moment de la rupture du jeûne et surtout ne pas exagérer dans la consommation des aliments gras et sucrés. Il ne faut pas se mettre à grignoter à la tombée de la nuit après la rupture du jeûne. Le repas pris avant le début du jeûne est très important. En le négligeant, on donne l’occasion à l’organisme de se rattraper plus. Les mélanges de plusieurs aliments peuvent également être à l‘origine de problèmes d’intolérances alimentaires (ballonnement, diarrhée, douleurs abdominales) et même d’allergies alimentaires.
Sur le plan de l’hygiène, le jeûne favorise l’essor de la restauration collective et même l’alimentation de rue. En effet, la rupture du jeûne se fait en famille. Ce qui suppose la préparation de rations alimentaires plus importantes souvent par plusieurs personnes. On peut assister à des cas de Toxi infections alimentaires collectives (TIAC), dont le choléra et bien d’autres, avec une morbidité importante. Ces intoxications alimentaires peuvent être en rapport avec les aliments eux-mêmes : en cas de rupture de la chaîne de froid (cas du poisson qui va connaître une putréfaction et le développement de microbes), des aliments souillés avant leur préparation et de la cuisson insuffisante. Le personnel impliqué dans la préparation des mets est aussi incriminé : non-respect des règles élémentaires comme le lavage des mains pouvant aboutir à une contamination des aliments par des parasites ou des bactéries. Toutes les personnes qui ont consommé l’aliment contaminé vont présenter les mêmes symptômes d’intoxication (diarrhée, vomissements, déshydratation, pertes de connaissance). Cela peut avoir des conséquences néfastes surtout chez les personnes âgées. Au moment de la rupture et avant de préparer le repas, il faut se laver les mains avec du savon. Il faut bien recouvrir les aliments pour éviter leur contamination par certains vecteurs comme les mouches qui peuvent se déposer sur les selles et ensuite sur les aliments. Les ustensiles de cuisine et les plats doivent être lavés au savon. Il faut aussi boire une eau saine, et au cas échéant, surtout en zone rurale, faire bouillir l’eau ou la désinfecter en y mettant quelques gouttes d’eau de javel (2-3 gouttes/litre d’eau).

Bon mois de Ramadan aux fidèles musulmans.

 

Propos recueillis par Françoise DEMBELE

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