« Dans les formes les plus graves l’embolie pulmonaire est foudroyante », dixit Dr Anna Tall/Thiam

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Vous souffrez d’une anomalie respiratoire survenue de façon brutale, d’une douleur thoracique latéralisée ou médiane, d’une toux accompagnée de crachats de sang, rendez-vous immédiatement dans un hôpital pour une prise en charge adéquate car il peut s’agir d’une embolie pulmonaire.  Selon Dr Anna Tall/Thiam on parle d’embolie pulmonaire   « lorsqu’un caillot de sang bouche l’arbre artériel pulmonaire qui est ce gros vaisseau qui draine le sang qui vient de la périphérie vers les poumons ». Cette obstruction peut entrainer de graves conséquences telle la mort en moins de 24 heures. On parle alors d’embolie foudroyante. Pour tout savoir sur l’embolie pulmonaire parcourez cet entretien que nous avons réalisé avec Dr Anna Tall/Thiam, ancienne interne des hôpitaux de Dakar, Cardiologue, chef de clinique enseignante assistante à l’Unité de formation et de recherche en Science de la Santé (UFR/SDS) de l’Université Ouaga I Professeur Joseph Ki-Zerbo.

« Santeactu.bf » : Qu’est-ce que l’embolie pulmonaire ?

Dr Anna Tall/Thiam : L’embolie pulmonaire c’est lorsqu’un caillot de sang bouche l’arbre artériel pulmonaire qui est ce gros vaisseau qui draine le sang qui vient de la périphérie vers les poumons. Et quand un caillot de sang bloque cette artère pulmonaire ou l’un de ces branches, on parle d’embolie pulmonaire.

Comment se manifeste-t-elle ?

L’embolie pulmonaire a plusieurs manifestations. Elle peut se manifester dans des formes très graves par une mort subite. On n’a même pas le temps de consulter. Elle peut se manifester par des signes hémodialyques. Cela veut dire que la tension artérielle s’abaisse, la fréquence cardiaque également. On est instable. Et cela est le tableau grave de l’embolie pulmonaire. Il y a d’autres tableaux où la personne ressent des difficultés respiratoires, une toux, qui ramène, 24 à 48 heures après, du sang. Une douleur thoracique peut aussi se manifester. Et cette douleur prend la base pulmonaire. C’est ce qu’on appelle une douleur basi-thoracique  qui peut être en général unilatérale c’est-à-dire d’un côté. Mais dans les formes les plus graves l’embolie pulmonaire est foudroyante et peut se manifester par une mort subite.

Et quelles sont les personnes les plus exposées ?

On parle des personnes ayant des facteurs de risque thromboembolique ou bien de facteur favorisant une maladie thromboembolique parce que l’embolie pulmonaire est indissociable d’une maladie que l’on appelle la thrombophlébite qui se manifeste par de grosses jambes douloureuses qui s’accompagnent d’une augmentation de la chaleur locale. En général, ces deux entités que l’on regroupe sous le terme de maladie veineuse thromboembolique parce que la thrombophlébite  dans la plupart des cas se manifeste par la complication précoce qui est l’embolie pulmonaire. Donc on ne peut pas les dissocier. L’embolie pulmonaire a des facteurs de risque. En général, on trouve plusieurs facteurs chez une même personne. Mais chez les femmes, il y a des facteurs de risques médicaux ; le cancer, le VIH, les femmes dans le peripartum c’est-à-dire pendant  la grossesse, l’accouchement et jusqu’à six (6) semaines après une césarienne. Il y a également les longs voyages et ce qu’on appelle l’alitement prolongé c’est-à-dire les patients qui ont bénéficié d’une chirurgie ou qui sont couchés en hospitalisation qui ne bougent pas pendant plus de trois jours. C’est ce qu’on appelle l’alitement prolongé. Donc on peut dire que tout le monde est exposé mais dans une collecte que l’on a faite au niveau de l’hôpital Yalgado, on s’est rendu compte que les parents qui sont sédentaires et qui ne bougent pas, qui sont obèses et les femmes dans le peripartum développent beaucoup plus une maladie thromboembolique veineuse. Il y a aussi les fractures et l’immobilisation prolongée. Quand on met un plâtre pendant longtemps  et on ne prend pas la prévention qu’il faut on peut faire une thrombophlébite qui se transforme plus tard en embolie pulmonaire.

Quid des jeunes et des personnes âgées ?

L’âge supérieur à 65 ans est un facteur exposant. Au Burkina Faso, en général, d’autres facteurs s’associent à l’âge pour faire développer la maladie. Mais on a identifié la population féminine et jeune qui est plus exposée à cause des facteurs de risques ; la prise de pilule, la grossesse ou la période entourant l’accouchement ou après la césarienne.

Vous avez évoqué la prise de pilule. Est-ce à dire que les méthodes contraceptives peuvent aussi entraîner l’embolie pulmonaire ?

Il y a plusieurs types de pilule. Et ce sont les pilules riches en œstrogènes qui sont incriminés dans le développement de l’embolie pulmonaire. Mais un facteur est rarement isolé. Parfois, il faut le concours de plusieurs facteurs. Mais la prise de pilule et la prise de certaines hormones exposent au développement de la maladie thromboembolique veineuse, en particulier l’embolie pulmonaire. Cela peut-être associé à beaucoup de facteurs. C’est pourquoi on parle de facteur de risque plus que de causes.

Peut-on guérir de l’embolie pulmonaire ?

On peut guérir d’une embolie pulmonaire si elle est diagnostiquée tôt et si la prise en charge est faite tôt et de façon adéquate. Il y a des formes foudroyantes ou l‘on meurt avant d’arriver à l’hôpital. Il y a des manifestations où il y a ces douleurs thoraciques, ces difficultés respiratoires, ces toux qui s’accompagnent de sang. Dès que le diagnostic est fait, on met en place un traitement, s’il n’y a pas de contre-indications, on fait des piqûres qui s’appellent des héparines de bas poids moléculaires qui sont des anticoagulants  et à long terme ces anticoagulants vont être remplacés par des anti-vitamines K que l’on prend selon le facteur qui a amené l’embolie pulmonaire. La durée de traitement peut atteindre trois mois à six mois ou peut-être à vie si on identifie le facteur qui a favorisé l’embolie pulmonaire et si ce facteur est permanent.

Peut-on garder des séquelles de l’embolie pulmonaire après guérison ?

Les embolies pulmonaires mal traitées ou non traitées ou même parfois bien traitées avec une récidive,  peuvent évoluer vers ce qu’on appelle un cœur pulmonaire chronique. C’est le retentissement cardiaque de cette embolie pulmonaire qui donne après ce que les cardiologues appellent un cœur droit et on peut avoir certains signes qui persistent.

Il existe des formes d’embolie pulmonaire qui tuent en moins de 24 heures. Confirmez-vous cela ?

Oui. Il existe des formes d’embolies pulmonaires qui peuvent tuer en moins de 24 heures. Il y a des formes foudroyantes ; et la première manifestation de la maladie c’est la mort subite et parfois malheureusement le diagnostic est nécrotique, c’est-à-dire que c’est après le décès du patient, quand on fait une autopsie, on se rend compte que le patient est décédé d’une embolie pulmonaire.

Quelle est la prévalence de l’embolie pulmonaire au Burkina Faso ?

Nous avons mis en place un registre de collecte prospectus. On s’est rendu compte que la prévalence hospitalière entre 2010 et 2016 avait doublé mais cette prévalence a été évaluée pour la maladie thromboembolique veineuse. Cela veut dire que ceux qui ont les grosses jambes douloureuses, font une thrombophlébite accompagnée d’une embolie pulmonaire ou ceux qui font une embolie pulmonaire sans que la thrombophlébite soit diagnostiquée. C’est deux entités sont indissociables et la prévalence de la maladie thromboembolique veineuse qui réunit les entités, thrombose veineuse profonde et embolie pulmonaire, est passée de 11 à 20% entre 2010 et 2016.

Comment se prévenir de l’embolie pulmonaire ?

Pour la prévention, il faut identifier les personnes à risques. Lorsqu’on fait une fracture ou une immobilisation plâtrée, il y a une prévention à faire. Ce sont des injections à type d’héparine de bas poids moléculaires. Chez les personnes qui doivent être couchées plus de trois jours, on doit faire cette prévention. Chez la femme enceinte ayant de grosses jambes, les jambes qui s’enflent on peut leur prescrire ce que l’on appelle des bas de contention ; ce sont des chaussettes pour prévenir. Chez les femmes qui ont fait une césarienne, on doit leur faire des injections d’héparine à dose préventive (une injection par jour) et des héparines à doses curatives (2 fois par jour). La grossesse, c’est un facteur de risque, la chirurgie, c’est un facteur, le fait d’être couché c’est un facteur de risque. Et ceux qui ont des jambes lourdes et qui doivent effectuer de long voyage ne doivent pas porter des vêtements serrés à la taille et doivent bien s’hydrater. Et par exemple, si c’est un vol long courrier, on doit se lever marcher un peu dans l’avion, on ne doit pas rester sédentaire. Il y a aussi des professions à risque ; être couturier, secrétaire. Ce sont des facteurs qui favorisent les jambes lourdes. Donc, il ne faut jamais rester sur place longtemps.

Et les femmes enceintes qui n’ont pas de bas de contention, que doivent-elles faire ?

On leur demande de se promener et de ne pas rester assise tout le temps parce qu’il y a des facteurs de coagulation qui augmentent dans le corps. C’est un état physiologique. Le fait d’avoir le gros ventre, d’avoir l’utérus gravidique comprime les veines et le sang a tendance à rester en périphérie. Avec tous ces facteurs, la femme enceinte a plus de malchance de développer un caillot de sang au niveau des membres inférieurs. Et c’est quand ce caillot se détache et émigre vers l’arbre artériel pulmonaire, la femme enceinte développera une embolie pulmonaire. Donc une femme enceinte doit se promener et ne doit pas rester sur place. Elle doit porter des chaussettes si elle a les jambes lourdes et si elle a déjà fait une embolie pulmonaire ou une thrombophlébite, dans certaines situations on peut être amené à lui faire la prévention avec les injections d’héparine de bas poids moléculaires. Si une césarienne est programmée, pendant la période post-césarienne, on lui fait des injections, parfois, pendant six (6) semaines pour être sûr qu’elle ne va pas développer  une embolie pulmonaire et de manière générale une maladie thromboembolique veineuse.

Quel est le premier geste à poser quand on est face à une personne qui fait une crise d’embolie pulmonaire ?

Lorsqu’on suspecte une embolie pulmonaire, il faut amener le patient à consulter. Il y a les douleurs thoraciques aigües. Quand quelqu’un est à la maison et a ces douleurs, perd connaissance ou fait un arrêt, il faut entamer les gestes de réanimation parce qu’il y a des embolies qui sont foudroyantes et on n’a même pas le temps d’aller consulter. Devant toutes douleurs thoraciques et un essoufflement d’apparition récente dans certains contextes de patients à risque, ou en cas de toux accompagnée de crachats de sang, il faut amener la personne à consulter chez un cardiologue ou dans un CHU parce qu’il se peut que vous soyez devant une embolie pulmonaire. Et la prise en charge se fait en milieu hospitalier parce qu’on ne peut établir le traitement à la maison.

Au Burkina Faso, a-t-on les médicaments et le plateau technique appropriés pour la prise en charge de l’embolie pulmonaire ?

 Il y a des embolies pulmonaires graves, à risque intermédiaire et à bas risque. Il y a des formes graves où le patient est instable. La gestion de ce cas se fait dans une unité de soins intensifs, cardiologique ou pas, parce que la personne aura besoin d’oxygène et il aura besoin de la mise en route d’un traitement qui s’appelle la thrombolyse qui utilise un médicament appelé la streptoquinase qui n’est pas encore très disponible à Ouagadougou et nous, nous avons quelques flacons que l’on met à la disposition du patient mais le flacon reste coûteux (75 000  F CFA). C’est un traitement qui se fait en soins intensifs cardiologiques dans le cas de l’embolie pulmonaire à forme grave où la personne a perdu connaissance ou le patient à fait un arrêt cardiaque récupéré. Le plateau n’est disponible qu’à Ouagadougou et dans les CHU et peut-être quelques structures privées. Avec l’embolie pulmonaire à risque bas, on met en place un traitement à base d’anticoagulant. Ce sont les héparines de bas poids moléculaires mais c’est couteux (pour 7 jours de traitement, en moyenne il faut débourser 84 000  F CFA parce que c’est deux injections matin et soir).

Est-ce que les sportifs de haut niveau peuvent faire une embolie pulmonaire ?

Nul n’est à l’abri d’une embolie pulmonaire parce qu’il y a aussi des prédispositions génétiques. On parle de thrombophylie. Il y a des gens qui naissent avec ces prédispositions génétiques parce qu’ils ont des anomalies des facteurs de coagulation. Il y a des thrombophylies dont on nait avec, il y a des thrombophylie à cause dans le cas de certaines maladies que l’on appelle maladie à système. Dans ces cas, que l’on soit sportif ou pas, on a plus de malchance de développer la maladie thromboembolique veineuse et en particulier l’embolie pulmonaire que la personne qui n’est pas thrombophyle. Au Burkina Faso, on n’a pas encore les tests de laboratoire qui permettent de déterminer si l’on a une thrombophylie ou pas. Mais déjà, quand une personne nous vient avec deux épisodes d’embolie pulmonaire, un épisode plus une récidive, on fait, autant que faire se peut, cette recherche de thrombophylie dans certains laboratoires qui vont envoyer les prélèvements à l’extérieur pour nous donner une réponse clair.

Quels conseils avez-vous à donner à la  population ?

Devant toute douleur thoracique, il faut aller consulter. Devant tout essoufflement d’apparition récente, il faut aller consulter. Lorsqu’on crache du sang, il faut aller consulter. On doit identifier les personnes à risques et leur donner des conseils dans le sens de la prévention. Lorsqu’on met un plâtre ou lorsqu’on fait une chirurgie au niveau du petit bassin, ou une chirurgie orthopédique, il faut faire la prévention. Lorsqu’on doit hospitaliser un patient couché plus de trois jours, on doit faire la prévention. Lorsqu’une femme enceinte sent que ces mollets sont lourds et douloureux, surtout quand cela intéresse un seul membre, il faut aller consulter et ne pas  attendre que les deux jambes soient douloureuses.

A mes collègues et médecins généralistes, devant toutes jambes douloureuses et fébriles, de voir s’il ne s’agit pas d’une thrombophylie  parce que la complication précoce qui peut être fatale est l’embolie pulmonaire. Encore une fois, l’embolie pulmonaire peut se manifester par une douleur thoracique, une toux, des douleurs thoraciques qui peuvent s’accompagner 24 à 48 heures de crachats avec du sang. Ou bien la maladie peut être d’emblée grave avec une mort subite ou la personne peut arriver à l’hôpital avec des signes d’instabilités hémodynamiques et une chute de la tension. Là, le traitement doit se faire en unité de soin intensif cardiologique par une molécule qu’on ne manipule qu’à l’hôpital parce qu’il s’agit d’une thrombolyse.

Interview réalisée par Françoise DEMBELE

 

 

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