Coqueluche : mécanisme d’activation d’une toxine majeure impliquée dans la maladie

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La protéine CyaA est une toxine produite par la bactérie responsable de la coqueluche. Lors de l’intoxication des cellules cibles, CyaA se lie à une molécule appelée calmoduline, ce qui induit le repliement d’une région déstructurée de la toxine et son activation. Ce mécanisme, qui couple repliement structural et activation enzymatique de CyaA, est essentiel à la fois pour activer la toxine lorsqu’elle atteint ses cellules cibles, mais aussi pour prévenir sa toxicité au sein des bactéries qui la produisent. Ces conclusions, fruit d’un important travail de biologie structurale, ont été publiées par des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS dans PLOS Biology.

« Les résultats de nos travaux ont contribué à élucider la relation entre structure et activation de CyaA », résume Alexandre Chenal, responsable du groupe BiophysiCyaA, au sein de l’unité Biochimie des interactions macromoléculaires à l’Institut Pasteur. La toxine adénylate cyclase (CyaA) est un des facteurs de virulence majeur de Bordetella pertussis, l’agent responsable de la coqueluche. Cette maladie, qui touche l’homme à tout âge, se révèle particulièrement dramatique, voire mortelle, pour les nourrissons et les personnes fragiles.

La calmoduline active CyaA, mais comment ?

Rappelons, pour commencer, que la calmoduline est une protéine eucaryote très conservée qui interagit avec une grande variété de protéines et d’enzymes. Elle contrôle leurs activités en réponse aux variations de concentrations en calcium intracellulaire.

La toxine CyaA, quant à elle, contribue aux étapes précoces de colonisation bactérienne des poumons des personnes infectées par la bactérie B. pertussis, responsable de la coqueluche. CyaA est synthétisée et sécrétée par la bactérie sous une forme inactive. La toxine CyaA possède un mécanisme unique pour accéder au cytosol de nos cellules (la phase liquide à l’intérieur des cellules) : le domaine catalytique est directement transporté à travers la membrane plasmique des cellules cibles selon un processus appelé translocation membranaire.

« Après invasion des cellules eucaryotes cibles, le domaine catalytique de CyaA est activé par la calmoduline pour synthétiser de grandes quantités d’AMPc », explique Alexandre Chenal. L’AMPc est une molécule utilisée comme messager intracellulaire, à faibles concentrations. En revanche, les grandes quantités produites par CyaA altèrent la physiologie des cellules et finissent par entrainer la mort cellulaire. « L’activation de CyaA par la calmoduline, qui peut donc être qualifiée d’acte de piraterie moléculaire, était connue depuis longtemps mais le mécanisme d’activation moléculaire restait une énigme », résume le chercheur.

Avec un appât de 75 acides aminés !

« Nous avons utilisé une approche de biologie structurale intégrative combinant plusieurs techniques biophysiques pour caractériser les changements de structure du domaine catalytique de CyaA et de la calmoduline lors de leur interaction », reprend le chercheur. Cette étude leur a ainsi permis d’élucider la relation entre structure et activation de CyaA, en couplant différentes techniques, disponibles à l’Institut Pasteur et au synchrotron SOLEIL : la diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS), les échanges hydrogène deuterium suivis par spectrométrie de masse (HDX-MS) et le dichroïsme circulaire (SR-CD).

Une transition du désordre structural vers l’ordre active CyaA

« Nous montrons qu’une région désordonnée de 75 acides aminés dans le domaine catalytique de CyaA sert d’appât pour la capture de la calmoduline », souligne Alexandre Chenal qui poursuit : « La liaison induit un repliement important dans cette région, prérequis pour l’activation de CyaA. » Au-delà de la région d’interaction entre la calmoduline et le domaine catalytique, la formation du complexe induit des modifications dites allostériques et stabilise le site catalytique distant de la zone d’interaction. Une boucle catalytique (étoile bleue dans la figure ci-dessous) cependant est maintenue dans un état très flexible, ce qui est essentiel pour une catalyse enzymatique efficace (plus de 1000 réactions par seconde !) en permettant une association/dissociation rapides des substrats (ATP) et produits (AMPc et pyrophosphate). La production d’AMPc altère irréversiblement la physiologie des cellules de notre système immunitaire présentes dans nos poumons, ce qui laisse « le champ libre » à la colonisation par la bactérie B. pertussis.

Coqueluche – Institut Pasteur

Modèles structuraux du domaine catalytique de CyaA activé par la calmoduline. Crédit : Institut Pasteur.

A gauche : le modèle structural du domaine catalytique de CyaA isolé et inactif. Les régions repliées en hélices et feuillets sont représentées en vert, tandis que les régions caractérisées par du désordre structural sont représentées en ruban noir. Le désordre structural inhibe l’activité catalytique.

A droite : le complexe enzymatique actif, formé par le domaine catalytique de CyaA (couleurs) et la calmoduline (gris). La stabilisation du domaine catalytique induite par la liaison de la calmoduline est représentée par le gradient de couleurs rouge, jaune, vert et bleu ; les régions rouges et jaunes correspondent au maximum de stabilisation (observée par HDX-MS). La boucle catalytique flexible est marquée par une étoile bleue. Les modèles structuraux ont été obtenus en intégrant les données expérimentales de SAXS, HDX-MS et SR-CD.

Profiter du désordre structural pour se défendre contre la toxine

« Ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives pour identifier des inhibiteurs de CyaA. Nous proposons d’identifier des molécules capables de se lier à la région flexible du domaine catalytique, à la place de la calmoduline, mais sans induire les effets allostériques qui structurent et activent le site catalytique », conclut le chercheur. Ce projet collaboratif devrait être réalisé en collaboration avec l’Institut Pasteur de Corée (découvrir le Réseau international des instituts Pasteur) et plusieurs plateformes technologiques de l’Institut Pasteur à Paris. Ces travaux s’inscrivent dans un vaste projet à long terme qui vise à mieux comprendre d’un point de vue fondamental les facteurs de virulence de B. pertussis et à améliorer les applications biotechnologiques fondées sur l’utilisation de CyaA développées au laboratoire.

Source

Calmodulin fishing with a structurally disordered bait triggers CyaA catalysis, PLOS Biology, 29 décembre 2017

O’Brien DP1, Durand D2, Voegele A1, Hourdel V3, Davi M1, Chamot-Rooke J3, Vachette P2, Brier S3, Ladant D1, Chenal A1.

1 Institut Pasteur, UMR CNRS 3528, Chemistry and Structural Biology Department, Paris, France.

2 Institute for Integrative Biology of the Cell (I2BC), CEA, CNRS, Univ. Paris-Sud, Université Paris-Saclay, Gif-sur-Yvette cedex, France.

3 Institut Pasteur, USR CNRS 2000, Chemistry and Structural Biology Department, CITECH, Paris, France.

Sources de financements du projet : Institut Pasteur (PTR et PasteurInnoV), CNRS, ANR (CACSICE Equipex), Fondation pour la Recherche Médicale, Région Ile de France (DIM MalInf)

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