Une nouvelle épidémie d’Ebola a sévi de mai à juin en République démocratique du Congo (RDC) dans la province du Bas-Uelé, au nord du pays. Terminée depuis le 1ᵉʳ juillet, elle a occasionné quatre décès. Il s’agit de la première flambée de fièvre épidémique hémorragique à virus Ebola depuis la dramatique épidémie qui avait frappé l’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016.
Identifié depuis 1976, ce virus se caractérise par un taux de mortalité élevé, allant de 25 à 90 % selon la souche concernée. Cependant, les pays confrontés à Ebola ne sont plus aussi démunis que par le passé. Pour la RDC, par exemple, il s’agit d’une huitième épidémie –récurrence qui confère à son système de santé une certaine expérience. Des enseignements ont ainsi pu être tirés, par les acteurs de la santé publique locaux et internationaux, des multiples épidémies qui ont touché l’Afrique Subsaharienne.
Le savoir a progressé dans les grandes ONG humanitaires, particulièrement Médecins sans frontière et la Croix rouge, mais aussi dans les ONG locales, les organismes internationaux comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les Nations unies et les gouvernements, via leurs ministères de la santé, des affaires étrangères ou encore leurs armées. Les scientifiques d’horizons divers, virologie, immunologie (mécanismes de défense de l’organisme), santé publique, anthropologie, sociologie, ont eux aussi participé à la progression des connaissances.
C’est notamment suite à l’épidémie ayant sévit en 1995 à Kikwit en RDC que les intervenants de terrain avaient souligné la nécessité d’un test de diagnostic rapide –qui existe aujourd’hui– ou encore de l’amélioration des procédures de prise en charge des patients qui, elles, laissent toujours à désirer. De fait, les études concordent toutes aujourd’hui pour affirmer que les patients atteints d’Ebola ne peuvent pas être seulement isolés et soignés avec des traitements symptomatiques par des soignants en tenues de cosmonautes.
Trop souvent en effet, on assiste à une gestion dans l’urgence, peu respectueuse des personnes. Un mode de résolution des crises dû à des représentations sociales anciennes qui trouvent leurs racines dans l’Antiquité avec les fléaux, puis au Moyen Âge avec la peste. Cette vision d’Ebola comme cataclysme produit une réponse hygiéniste et sécuritaire face à l’épidémie. Les institutions internationales et les ONG se mobilisent. Dès lors, on trouve sur le terrain une multiplicité d’acteurs qui peinent à communiquer entre eux, mais aussi avec les institutions locales que sont les gouvernements des pays touchés, avec les acteurs institutionnels régionaux, les hôpitaux et les populations. Des actions croisées qui complexifient l’endiguement de l’épidémie, et mettent en péril l’humanité des soins.
Alors que de nets progrès ont été faits côté clinique, avec la mise au point d’un vaccin administré, pour l’instant, à titre expérimental, la manière d’accompagner les malades a, comparativement, peu progressé. C’était la conclusion des travaux présentés lors du premier colloque en sciences humaines sur Ebola qui s’est tenu à Dakar, au Sénégal, en mai 2015. Les chercheurs appellent, désormais, à établir une meilleure communication avec le patient, s’appuyant notamment sur une étude réalisée au Sénégal.
Les centres de traitement rebaptisés des « mouroirs »
À partir de 2000, avec la globalisation du phénomène épidémique, la gestion de la crise a en effet été largement déshumanisée. Les centres de traitements Ebola sont souvent appelés des «mouroirs» par les populations locales, qui refusent de s’y rendre ou tentent de cacher leurs malades. Certaines mesures de prévention, par exemple l’interdiction des regroupements, vont à l’encontre de rites nécessaires au soin des malades et au deuil des familles.
À ces situations vécues comme brutales, vient s’ajouter la militarisation des opérations d’identification des personnes dites «contacts» car ayant été en contact avec un malade d’Ebola (dans le but de les mettre sous surveillance et d’éviter ainsi de nouvelles contaminations). Par ailleurs, certains pays ont décrété des couvre-feux, placé des quartiers en quarantaine; des compagnies aériennes ont suspendu leurs vols à destination de pays touchés ; autant de situations qui ont amené, de manière récurrente, à des révoltes et des contestations violentes de la part des habitants, notamment en Sierra Leone et en Guinée.
L’intervention internationale d’urgence dépossède les populations, voire les acteurs sanitaires nationaux, de la maladie. En conséquence de quoi les causes du malheur sont entre autres attribuées aux occidentaux ou à des personnalités locales, jetant le discrédit sur les campagnes préventives contre cette maladie.
Le rejet par la famille, la perte de leurs biens
De fait, une épidémie d’Ebola provoque une crise sanitaire mais aussi sociale, comme nous l’avons montré dans nos travaux de thèse et par la suite. Après la crise, les territoires comme les sociabilités sont reconfigurés durablement en raison des stigmates qu’induit la survivance à Ebola.
Les anciens malades peuvent connaître le rejet par leur famille, la honte d’eux-mêmes, la perte de leurs biens et finir par déménager. Des observations corroborées par le suivi d’une cohorte de survivants mise en place en Guinée par l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Dans la continuité des hypothèses soulevées en 2010 dans nos travaux, leurs études montrent que les ex-malades présentent bien ces stigmates économiques et sociaux avec, en plus, des complications de la maladie comme une inflammation au niveau des yeux.
À l’avenir, les avancées scientifiques permettent d’espérer qu’une vaccination préventive dite «en anneau», autour des premiers cas déclarés, s’avère efficace contre Ebola. La méthode implique de vacciner toutes les personnes ayant été en contact avec un cas, ainsi que tous leurs contacts. Cette stratégie, défendue par l’OMS, devrait éviter que ne se reproduise le drame qu’a connu l’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016.
Cependant, une telle stratégie implique trois préalables. Pour commencer, les vaccins doivent être mis à disposition par les laboratoires pharmaceutiques dans des délais rapides et en quantité suffisante. Ce qui sous-entend la mise sur pied d’un fonds mondial, afin que les états concernés puissent financer la campagne de vaccination à moindres frais. Ensuite, le système de santé des pays touchés doit pouvoir aligner le matériel et le personnel nécessaires pour atteindre les personnes à vacciner.
Enfin, des équipes locales doivent être formées à la mobilisation sociale pour pouvoir être déployées dans la zone touchée et impliquer les communautés locales dans l’identification des personnes à vacciner selon le principe de «l’anneau». Il reste, pour finir, à savoir communiquer de la bonne façon pour convaincre ces personnes d’accepter la vaccination.
Présence sous condition de chercheurs en sciences humaines
On mesure mieux, à ce stade, l’importance d’associer des chercheurs en sciences humaines aux actions sur le terrain. Trop souvent encore, leur présence reste conditionnée au sentiment d’impuissance ou à une situation d’échec des équipes d’action médicale et sanitaire.
L’endiguement de telles épidémies ne peut se suffire de mesures coercitives d’isolement quand survient la crise. Son succès passe, en amont, par une véritable politique de promotion de la santé. Car l’état de santé, pour chacun, se joue bien avant l’épidémie, dans des déterminants aussi concrets que l’accès au logement, à l’hygiène et à une alimentation équilibrée.
Contenir la diffusion du virus implique, enfin, une refonte des rapports Nord-Sud. En effet, les interventions dans les pays touchés d’organisations venues de l’extérieur sont vécues comme un processus de domination, lequel entraîne en réaction de la contestation. Changer de mode de relation constitue la seule véritable manière de se prémunir durablement contre Ebola. En plus de la vaccination.
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Par Clelia Gasquet-Blanchard, Maîtresse de conférences en géographie de la santé, École des hautes études en santé publique (EHESP) – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.