Depuis le début de l’épidémie, l’infectiologue français Didier Raoult prône l’utilisation de la chloroquine, un médicament contre le paludisme associé à l’azithromycine, un antibiotique. Et cela fait débat dans le monde scientifique et dans les médias. Pour apporter un nouvel éclairage, un collectif de 13 médecins (8 Africains, 3 Européens et 1 Nord-Américain) met en garde contre une utilisation inappropriée, généralisée ou en automédication d’un tel traitement en Afrique subsaharienne. Ces chercheurs viennent de publier un article dans le journal américain de médecine tropicale et d’hygiène (AJCMH). Leur porte-parole, la docteure Pascale Abéna, médecin spécialiste des maladies infectieuses à Douala au Cameroun est notre invitée.
RFI : Pourquoi cet appel à la prudence ?
Dr Pascale Abéna : Nous appelons à la prudence contre l’utilisation massive, incontrôlée, d’origine frauduleuse, souvent, en automédication de l’association hydroxychloroquine azithromycine pour l’Afrique. Les gouvernements par principe de précaution devant la violence de cette pandémie ont autorisé la mise en route de ce protocole, en attendant de voir les résultats de cette association. Selon nous, cette utilisation massive est dangereuse parce qu’elle va modifier, interférer, altérer les traitements de trois grandes maladies qui sont la malaria-chloroquino-résistante, la tuberculose et le VIH.
La chloroquine est-elle encore utilisée contre le paludisme en Afrique ?
Non. Dans les zones chloroquino-résistantes que représentent toute l’Afrique subsaharienne, on a sorti la chloroquine depuis 20 ans.
Alors pourquoi affirmez-vous qu’une utilisation non contrôlée pourrait entraîner des résistances ?
Comme nous habitons dans une zone où la malaria sévit tout le temps. Les personnes qui vivent en Afrique subsaharienne ont une certaine quantité de malaria dans le sang en permanence. Et lorsqu’il y a une autre infection, comme un virus, cette quantité dormante se réveille et conduit à un accès de paludisme. Et comme le paludisme dans cette zone est déjà chloroquino-résistante, le traitement que l’on donne pour le coronavirus ne permettra pas de soigner cet accès de paludisme.
Est-ce que l’utilisation non-contrôlée de ces médicaments pourraient entraîner des résistantes pour d’autres maladies ?
Pas l’hydroxychloroquine. En revanche l’azithromycine qui est associée est un antibiotique. Il se trouve que cette azithromycine est aussi un traitement de second choix pour la tuberculose. On va se retrouver avec une utilisation massive et incontrôlée de cet antibiotique avec une émergence de souche de tuberculose résistante. Cette azithromycine interfère avec le traitement, le plus utilisé en Afrique contre le VIH, qui est de la classe de l’efavirenz. Notre attirons l’attention sur l’association hydroxychloroquine azithromycine dans la lutte contre le coronavirus parcequ’ on va toucher à trois fléaux de santé publics spécifiques à l’Afrique pour lesquels le Fonds global, les gouvernements , les populations ont fait tellement d’efforts. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Autre danger, autre menace, ce sont les médicaments frauduleux. Un trafic a été démantelé au Cameroun. Est-ce que c’est un motif d’inquiétude pour tous les médecins de votre collectif ?
Ces faux médicaments sont vendus dans les rues, dans les quartiers. Il y a eu une saisie de toute une usine de fabrication de ces médicaments à Bafoussam.
Que préconisez-vous ?
En attendant que l’association hydroxychloroquine azithromycine prouve une efficacité réelle démontrée sur le coronavirus nous pensons que l’association quinine doxycycline serait plus appropriée pour l’Afrique.
Mais l’efficacité d’un tel traitement contre le Covid-19 n’est pas prouvée non plus à l’heure qu’il est ?
Non. C’est pour cela qu’on dit qu’il faut faire des études. Mais comme on n’a pas le temps et qu’il faut faire vite on veut protéger la malaria. Si on dit qu’il faut l’association quinine doxycycline pour l’Afrique en équivalent de l’hydroxychlroquine azithromycine, en second objectif, on va voir s’il a une efficacité sur le covid. A l’heure actuelle, on n’a pas encore trouvé un médicament qui serait actif contre le Covid-19.
Interview de RFI retranscrite par Françoise DEMBELE