Le Burkina Faso a fait du chemin dans la lutte contre le Sida. De 7,7% en 1997, la prévalence a chuté à 0,9% selon le rapport 2015 de ONUSIDA. Des efforts qui sont à saluer. Du reste, l’arbre ne doit pas cacher la forêt puisqu’il existe toujours des poches de résistance qui enregistrent des prévalences assez élevées. Ces groupes spécifiques sont les détenus avec un taux de prévalence de 2,9%, les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes avec une prévalence de 3,6% et les travailleuses de sexe avec un taux de prévalence assez élevé qui tourne autour de 16,1%. Et c’est à ce groupe spécifique que nous nous intéressons. En effet, ce groupe se rajeunit au Burkina Faso. Et la menace de propagation du Sida semble être une évidence vu le comportement à risque des jeunes filles qui se livrent à la prostitution. Ont-elles conscience de la gravité de leurs comportements ? Ont-elles conscience du Sida ? Si certaines de ces « filles de joie » disent avoir conscience de l’existence de la maladie du Sida et prennent des mesures pour s’en préserver, d’autres malheureusement sont ignorantes ou négligentes. Et pourtant le sida existe.
De longues mèches qui vont de la tête aux fesses, des pantalons collants ou encore des mini jupes qui cachent à peine les sous-vêtements, cigarette en main, mâchant bruyamment des chewing-gums, elles sont arrêtées ou font des va-et-vient entre le tronçon sombre situé entre le lycée Nelson Mandela et le lycée Philippe Zinda Kaboré. Elles, ce sont les jeunes filles, pour ne pas dire des adolescentes, puisqu’elles ont entre 15 et 17 ans, qui se livrent à la prostitution à Paspanga, un quartier de Ouagadougou. Il est 20 h au moment où nous arrivions sur l’avenue sombre qui sert de quartier général aux filles qui exercent le plus vieux métier du monde. A peine arrivées, nous remarquons sur les lieux des jeunes filles habillées ordinairement, et certaines portaient même des pagnes. Et le groupe grossissait au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient. Sur des motocyclettes « 135 » ou pour les moins nanties en taxi, elles rallient leurs « lieux de travail » souvent sans attirer l’attention. C’est sur les lieux, aux environs de 21h qu’elles commencent à se dévoiler ; les pagnes et les longues robes font places aux collants et aux mini-jupes et autres habillements qui peuvent faire perdre le nord « aux âmes sensibles ».
Pour attirer plus de clients, chacune des filles se refait une beauté. Après ce relooking, commence alors le défilé ou « l’exposition-vente ». A la limite, elles harcèlent les clients qui ne font pas attention à elles. Tous les moyens sont bons pour « se faire voir » ou aller à la « chasse aux hommes ». Certaines « sortent la démarche », d’autres interpellent par des « psst » à n’en pas finir. Avec un français d’un niveau approximatif, l’une des filles lance, à un passant, un jeune homme sur une moto de marque crypton : « Viens on va faire ». Celui-ci esquive l’offre et continue son chemin. Pendant qu’un monsieur est de passage avec sa belle voiture de marque HUNDAÏ, étant en communication, il ralentit juste au niveau des jeunes filles. Il n’en fallait pas plus pour que les prostituées se ruent sur sa voiture pour lui proposer leur prestation, croyant avoir affaire à un potentiel client. Malheureusement, celui-ci voyant le mouvement accélère de nouveau, comme s’il se sauvait. C’est à ce moment que nous nous approchons de l’une des filles pour qu’elle nous parle un peu de sa « profession ». Chose qui n’a pas été facile puisqu’elle a, dans un premier temps, refusé de nous parler. Après moult négociations, elle accepte tout en nous signifiant : « Si vous désirez bien que je vous parle, j’exige une somme en contrepartie ». Il a fallu donc une dure négociation pour qu’on puisse lui tirer les vers du nez. A ce moment, une autre s’approche par curiosité. Une conversation s’engage alors entre trois. Tandis que l’une nous dit qu’elle exerce ce métier par contrainte, l’autre dit le faire juste par plaisir afin de satisfaire sa libido avec plusieurs hommes. Amina, un nom d’emprunt pour les besoins de la cause, à 17 ans. Elle nous révèle avoir eu affaire à plusieurs types d’hommes qui ont différents goûts. Selon ses dires, plusieurs clients lui demandent le plus souvent de « leur faire la pipe » à raison de 25 000 F CFA tandis que certains lui demandent d’interpréter des scènes pornographiques pour un passage. Après quelques minutes la confiance s’est installée entre nous et les jeunes filles et les langues se délient. Alors pendant que nous discutons, l’adolescente nous raconte une anecdote selon laquelle, une fois, un homme qui a l’âge de son grand-père, la soixantaine approximativement, lui a montré une scène pornographique sur son téléphone, et lui a demandé de la réaliser contre 30 000 F CFA. Chose qu’elle a faite puisqu’elle estime que ce n’était « pas du tout la mer à boire ».
« Je n’ai rien affaire avec ma sérologie »
A la question de savoir si Amina utilise des préservatifs pour se mettre à l’abri du Sida et des maladies sexuellement transmissibles, c’est avec un air triste qu’elle nous confie qu’elle utilise les condoms parfois mais qu’il y a certains de ses clients qui exigent le contact direct. Dans ce cas, elle fixe des tarifs selon qu’elle utilise le condom ou non. « Sans préservatif je fais à 10 000 F CFA tandis qu’avec préservatif c’est 5000 F CFA », nous chuchote-t-elle presque. Après quelques minutes de discussion, Amina nous signale qu’il est temps pour elle de prendre congé de nous puisque l’un de ses clients fidèles est arrivé. Par courtoisie, nous avons salué le monsieur et lui avons demandé de nous dire ce qui l’emmenait à fréquenter ces lieux. Il s’appelle Mahamoudou, un habitué du coin et client de Amina. Sans détour, il affirme trouver du plaisir en « croquant les carottes » ; c’est ainsi qu’il qualifie les adolescentes. Pour lui, non seulement « c’est moins cher, mais aussi il y a moins de protocole et elles sont très efficaces, souples, douces et te font tout ce que tu veux avec toutes les positions possibles ». A la question de savoir s’il a une idée sur sa sérologie, Mahamoudou, sur la défensive, nous répond par la négative et dit « ne rien avoir à faire avec sa sérologie » Richard, un client de l’une des travailleuses du sexe, que nous avons rencontré, dit « adorer faire l’amour à telle enseigne qu’il ne peut se contenter de son unique femme ». C’est pourquoi il vient de temps en temps chez les prostituées pour se libérer. Il explique que depuis qu’il fréquente « ces petites » il ne regrette pas d’autant plus qu’elles peuvent le projeter « au paradis » et surtout lui « faire une bonne pipe », chose que « sa bonne dame » n’accepterait pas faire. Après avoir fini d’échanger avec les clients, nous avons remarqué que le nombre de filles grossissait tout autour de nous. Ce fut alors une opportunité pour nous de poser une question qui a provoqué des larmes au sein du groupe d’adolescentes.
Pourquoi exercer ce métier à risque, à cet âge vu le nombre de maladies sexuellement transmissibles qui existent, notamment le Sida ? Une question qui a entraîné un silence assourdissant dans le groupe de filles qui s’est formé tout autour de nous. Après s’être reprises, chacune des mineures finira par répondre puisqu’elles ont des motifs différents. Pour sa part, Nina, nous raconte comment elle est arrivée à cette situation. « Je suis originaire de Léo. Après mon admission en classe de 3e mes parents étant indigents, il m’a fallu remuer ciel et terre pour m’acquitter de ma scolarité. C’est ainsi que je me suis retrouvée dans un bar à Ouagadougou pendant les vacances comme serveuse et comme j’avais un minable salaire je me suis mise à me prostituer ». A chacune son histoire, et voici celle de Roukiatou. Et c’est avec les larmes aux yeux qu’elle nous confesse : « J’ai commencé à exercer ce métier après le décès de mes deux parents car ne pouvant pas joindre les deux bouts. C’est alors qu’une amie m’a proposé de me prostituer ». Après s’être reprise un instant, elle poursuit : « Je fais à 3 000 F CFA mais c’est avec préservatif ». Si c’est pour passer la nuit chez un client, l’intéressé paye 6 000 FCFA. Si les professionnelles dans ce domaine font au moins une fois en passant un bilan de santé, force est de constater que ces mineures ne le font pas. En effet, plus d’une, nous confie que ce qu’elles gagnent ne suffit pas à subvenir à leurs besoins, à plus forte raison se faire suivre par un médecin. Ces adolescentes ont dit ignorer leur statut sérologique bien qu’elles aient affaire à des partenaires multiples. Est-ce qu’un tel comportement à risque ne va-t-il pas contribuer à propager plus le VIH? Avec la séroprévalence qu’enregistre actuellement le Burkina Faso, les uns et les autres ont tendance à baisser la garde. Même si le Sida n’est pas actuellement une fatalité grâce aux antirétroviraux, ce n’est pas non plus une invite à la dépravation. Il est donc nécessaire que chacun connaisse son statut sérologique, car le VIH ne connaît pas la réversibilité. Pour le moment, positif n’a jamais été négatif.
Monique W. SORO