L’hépatite B et l’hépatite C sont des pathologies qui prennent du terrain au Burkina Faso. Le problème se situe au niveau du dépistage et de la prise en charge des malades. Pour Pr Roger Sombié, il y a une inégalité de traitement entre les malades du Sida et ceux de l’hépatite B qui utilisent pourtant le même médicament. Que faire alors pour freiner la progression de la maladie et soulager les malades des hépatites B et C ? Pr Roger Sombié répond et nous dit également pourquoi il est devenu hépato-gastro-entérologue.
Santeactu.bf : Où en est-on avec la lutte contre les hépatites au Burkina Faso ?
Pr Roger Sombié : La lutte contre les hépatites au Burkina Faso est en marche. Pendant bien longtemps il n’y avait pas d’action de sensibilisation, d’information et de communication. Là on est en bonne voie. Il faut féliciter le ministère de la Santé, la Direction de la lutte contre la maladie qui est en train de mettre en place un plan stratégique contre les hépatites virales afin de prendre à bras-le-corps ce fléau qui est un vrai drame au Burkina Faso.
Quelle réflexion faites-vous relativement au thème « Eliminer les hépatites virales au Burkina Faso, opérationnaliser le plan stratégique de la lutte » ?
En 2016, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé de mettre en place un plan mondial de lutte contre les hépatites virales. Cela témoigne de la gravité de la maladie. Je dirais que c’est un problème de santé publique dans le monde. L’hépatite B et l’hépatite C sont la cause du cancer primitif du foie qui survient à 80% en Afrique noire. Ce qui a conduit les Etats africains et l’OMS à décider de mettre un plan de lutte visant à l’éliminer en tant que menace grave pour la santé d’ici à 2030.
Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser dans le domaine de l’Hépato-gastro-entérologie ?
J’ai choisi l’Hépato-gastro-entérologie parce que quand je faisais mon stage en médecine je voyais les malades atteints de cancer primitif du foie, à un stade de diagnostic tardif, qui saignaient, qui rompaient leurs varices œsophagiennes, et pour lesquels il n’y avait pas grand-chose à faire parce que la prise en charge est spécialisée et coûteuse et nous n’avons pas de sécurité sociale pour la majorité de nos malades. C’est la raison pour laquelle je me suis intéressé à cette thématique en espérant être utile pour les générations futures.
Est-ce facile d’être hépato-gastro-entérologue au Burkina Faso ?
Ce n’est pas plus facile ou pas plus difficile que d’être journaliste, cardiologue ou pneumologue. Le tout c’est de faire ce qu’on a à faire avec passion, motivation et énergie. Et faire ce qu’on a à faire très bien.
Et si c’était à refaire ?
Je ferai la même chose.
Qu’avez-vous remarqué depuis que vous travaillez dans le domaine par rapport à la prise en charge des malades et l’implication des autorités?
Je dirai que c’est positif. Les choses bougent, certes, pas aussi vite que l’on le voudrait, mais sûrement. J’ai bon espoir.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le domaine ?
La principale difficulté c’est que nous sommes des médecins qui dépendons à 100% des malades. Je crois qu’il faut avoir une sécurité sociale ou un système de prise en charge qui permettent aux malades d’avoir accès au diagnostic et au traitement pas forcément gratuitement mais à un coût réduit. Ainsi, on aura plus de malades que l’on pourra soigner et protéger d’une cirrhose et d’un cancer du foie.
Les hépatites sont-elles mortelles ?
Elles sont mortelles potentiellement. Ce sont des infections qui sont silencieuses. Quand on est infecté très tôt, cela dure toute la vie et les complications surviennent à un âge plus jeune. C’est le premier motif d’hospitalisation et de mortalité dans mon service à l’hôpital Yalgado.
Avez-vous des statistiques par rapport aux hépatites au Burkina Faso ?
On n’a pas de données fiables. Les données de l’OMS relèvent pour le Burkina Faso, pour 2015, 3 100 cas de cirrhose par an et près de 1 500 cas de cancer primitif du foie. Pour ma part, ces données sont sous-estimées. La plupart des malades du cancer du foie vont rester à domicile et ne vont pas décéder dans les structures de soin.
Que faire quand on souffre de l’hépatite ?
Il faut consulter dans un centre de santé. Il faut faire un bilan de santé qui va dire en fait à quel stade est la maladie parce que hépatite ne veut pas forcément dire gravité, mort ou traitement. Il faut faire la part des choses entre l’infection, c’est-à-dire qu’on est porteur du virus et l’hépatite qui veut dire qu’il y a une inflammation, une évolutivité de la maladie. On peut être infecté sans avoir une maladie évolutive et active. Là, on se fait surveiller.
Et par rapport aux idées reçues relativement à la contamination ?
Les préjugés qu’on a par rapport à la maladie, c’est juste une question d’ignorance, de manque de formation et d’information. C’est une infection qui n’est pas transmise par la salive. Les voies de contamination prédominantes sont les relations sexuelles multiples, non protégés, à risque, la transmission mère-enfant, la contamination par du sang infecté. Clairement, le malade vit en société comme tout le monde et il n’y a pas besoin d’avoir son verre à part, son assiette à part. On peut embrasser quelqu’un, étreindre quelqu’un, partager les mêmes toilettes, le même lit sans risque.
Comment faire pour éviter l’hépatite B et C ?
La première des choses c’est de respecter les règles d’hygiène dans les structures de santé. Il faut éviter le préjugé. Quel que soit le patient, on doit respecter les mêmes conditions de désinfection de matériel. La deuxième chose, c’est de faire son dépistage systématiquement pour savoir quel est son statut. Contre le virus B on a un moyen de prévention très efficace qui est la vaccination. Pour le virus de l’hépatite C on n’a pas de vaccin, mais on sait que le réservoir de virus est l’usage de drogue par voie intra veineuse. Il faut donc éviter cette pratique ; autrement on n’a rien à craindre.
Que peut-on faire pour aider les malades par rapport au coût élevé du traitement ?
Le coût de traitement de l’hépatite B subventionné est de 2 830 F CFA la boîte alors qu’on pourrait avoir un traitement gratuit. Le traitement des malades infectés du VIH est gratuit. Alors, pourquoi le malade du VIH a un traitement gratuit et celui infecté par l’hépatite B va payer sa boîte à 2 830 F CFA, alors que c’est la même molécule. Il faut une égalité de traitement entre les malades du Sida et ceux des hépatites. Le but du plan de lutte, c’est de mettre les malades au même niveau de traitement.
Voulez-vous ajouter autre chose qu’on n’a pas pu aborder?
Il faut que tout le monde fasse le dépistage de l’hépatite B et de l’hépatite C. Le virus prédominant chez nous, c’est le virus B et on a un excellent moyen de prévention contre le cancer du foie. Il s’agit du vaccin contre l’hépatite B. Donc si on veut protéger les générations futures, il faut un plan rigoureux de vaccination de tous les enfants à la naissance et dépister les femmes enceintes. Les recommandations de l’OMS, et c’est ainsi dans les pays occidentaux, il faut vacciner l’enfant dès les douze (12) premières heures de naissance. Chez nous, l’enfant est vacciné un mois et demi à deux mois après la naissance. S’il a la chance de ne pas être infecté avant le vaccin il sera protégé, mais s’il est déjà infecté, c’est inutile. L’objectif pour nous, c’est de faire vacciner les enfants à la naissance. Le Sénégal a réussi le pari en 2016.
Interview réalisée par Françoise DEMBELE