La Société burkinabè d’hépato-gastro-entérologie et d’endoscopie digestive (SOBUHGEED) a organisé les 18 et 19 octobre 2018, son premier congrès scientifique qui s’est tenu à Ouagadougou sous le thème « les cancers du foie et cancers du tractus digestif ». Après le congrès nous avons tenu à parler des conclusions de ce grand mess des spécialistes en hépato-gastro-entérologie. L’entretien a été réalisé avec Pr Alain Bougouma, hépato-gastro-entérologue, professeur titulaire d’hépato-gastro-entérologie à l’Unité de formation et de recherche en Sciences de la santé à l’Université Joseph Ki-Zerbo et président de la Société burkinabè d’hépato-gastro-entérologie et d’endoscopie digestive (SOBUHGEED).
Santeactu : Vous venez de tenir votre premier congrès scientifique, pouvez-vous nous rappeler le thème de ce congrès et nous dire les motivations qui ont conduit au choix de ce thème ?
Pr Alain Bougouma : Le thème principal était « les cancers du foie et cancers du tractus digestif ». En sous-thème, nous avons, le reflux gastro-oesophagien, les hépatites virales B, C et D, le syndrome de l’intestin irritable et la maladie hémorroïdaire. Le choix du thème principal est lié au fait que c’est en rapport avec notre pratique quotidienne et des soucis quotidiens. Ces infections causent aussi bien des problèmes aux médecins qu’aux patients. Nous avons constaté qu’au cours de ces dernières années, la fréquence des cancers augmente de façon inquiétante et il fallait que l’on s’attèle à trouver des voies et moyens pour faire en sorte que ces affections régressent en fréquence parce que nous n’avons pas de moyens étant des pays à ressources limitées. Et nous devons développer des trésors d’intelligence pour que ces affections reculent dans notre contexte vu que nous avons des moyens limités pour leur gestion.
Quelles ont été les différentes problématiques évoquées au cours de ce congrès ?
Les problématiques évoquées sont les hépatites virales B, C et D qui nous causent beaucoup de soucis. Si les hépatites B sont très fréquentes, étant donné que nous sommes dans une zone de haute endémicité des infections, l’hépatite virale C qui a une fréquence beaucoup moindre, 3 à 5% au Burkina Faso, alors que l’hépatite B a entre 8 et 15%. Les hépatites virales C sont entrain de grimper en pourcentage. Si les hépatites virales C ont des traitements efficaces qui permettent de guérir le patient en deux à trois mois, même si les coûts demeurent élevés pour le commun des Burkinabè, les hépatites virales B doivent être dépistées, prévenues par des vaccinations et les patients qui souffrent d’hépatite chronique doivent être pris en charge. Et comment organiser la prise en charge ? Comment permettre aux potentiels malades, qui ne se savent pas infectés de se faire dépister, de se faire vacciner ou de se faire en prendre par les spécialistes dans le domaine ? Ce sont de telles problématiques que nous avons abordées en long et en large. On constate que dans nos pays, l’infection se fait très tôt, dans l’enfance. Ce qui fait que la fréquence des cancers de foie augmente parce que la transmission mère-enfant conduit l’enfant atteint de développer plus tôt, 25 à 30 ans, le cancer de foie. Et si nous voulons bâtir des projets de développement et que nous ne prenons pas des mesures suffisantes pour dépister et soigner ces infections silencieuses, nous risquons de nous projeter dans le vide parce nous ne pourrons pas construire le Burkina Faso avec des cimetières. Je signale que les hépatites virales B, C ou D vont conduire à la cirrhose de foie ou cancer de foie qui conduit à la mort, plus ou moins rapidement en fonction de l’étendue de la maladie. Nous avons aussi abordé le reflux gastro-oesophagien qui est une infection chronique qui impacte négativement la productivité des individus. Cette infection est une préoccupation et on peut la réduire par des conseils d’hygiène de vie qui permettront de réduire la fréquence du reflux-gastro-oesophagien. A ce niveau nous pouvons informer, sensibiliser et prendre en charge ces patients qui souffrent et leur faire comprendre que cette infection peut être bénigne mais elle peut également conduire à un cancer de l’œsophage si on y prend garde.
Pour ce qui est de la maladie hémorroïdaire, c’est une affection qui touche la région anale. Cette région est considérée comme tabou pour beaucoup de personnes. On n’en parle pas parce qu’on estime que ce n’est pas bien. On cache la maladie et on va voir le tradi-praticien pour prendre des racines et des décoctions pour boire ou pour se purger parce qu’on estime qu’on ne soigne pas les hémorroïdes à l’hôpital. Ce qui n’est pas vrai. Au final, on se retrouve avec un patient qui présente un cancer de l’anus ou du rectum alors qu’on aurait pu le sauver si on avait fait le dépistage à temps. Pour le commun des mortels, tout ce qui est anal est hémorroïdaire alors que la maladie hémorroïdaire est signe d’exclusion. On ne peut parler de maladie hémorroïdaire que lorsqu’on a éliminé toute autre cause d’affection qui donne des douleurs annales, des hémorragies digestives basses ou qui donne des prolapsus qui incommodent les patients et les empêchent de s’asseoir. Pour le commun des mortels, tout ce qui est annal est hémorroïdaire. Ce qui n’est pas du tout vrai. Il faut sensibiliser la population et leur faire comprendre que l’anus est une partie du tube digestif qui fait l’objet de beaucoup de maladies et que ce n’est pas seulement la maladie hémorroïdaire. Et même si on a une maladie hémorroïdaire, on peut faire faire examiner le patient pour s’assurer que c’est une maladie hémorroïdaire et pas autre chose. La maladie hémorroïdaire n’est pas une infection honteuse. Il faut en parler et ne pas avoir honte. Les hémorroïdes sont les constantes annales de tout individu. Ce n’est pas une maladie. Tout le monde a des hémorroïdes mais tout le monde ne fait pas la maladie hémorroïdaire qui est une situation où il y a une inflammation des veines de cette région, origine de la maladie.
Vous venez de nous dire que les taux des hépatites B sont entre 8 et 15%. Qu’est-ce qui explique cette recrudescence ?
Ce n’est pas une recrudescence mais c’est une histoire de diagnostic. On voit plus de cas aujourd’hui parce qu’on diagnostique plus. Il est vrai que la transmission mère-enfant, la transmission horizontale, d’un individu à un autre avec des moyens de transmission qui sont variés notamment les piercings, l’excision, la circoncision traditionnelle. Pour l’hépatite B, les moyens de transmission sont les rapports sexuels et tout ce qui peut engendrer des blessures.
Vous venez d’évoquer les tradi-praticiens. Les avez-vous associés à votre congrès ?
Notre congrès est de haut niveau et demande que les participants aient un background pour leur permettre de comprendre. Un tradi-praticien qui n’a pas été à l’école, qui n’a pas fait d’étude de médecine, qui n’a pas fait d’étude de santé, aura de la peine à suivre les débats parce que c’est un congrès de haut niveau qui ne s’adresse pas au commun des mortels même si les recommandations les concernent. Ils seront vite perdus. Les hépatites B et tout ce qui est reflux-gastro-oesophagien, de maladies hémorroïdaires, se diagnostiquent par des examens biologique ou d’imagerie et il sera difficile pour un tradi-praticien de se retrouver. Concernant la maladie hémorroïdaire, les tradi-praticiens n’examinent pas l’anus des individus. En médecine moderne, nous avons la possibilité d’examiner le patient et nous pouvons faire la part des choses, si c’est une maladie hémorroïdaire ou pas. Il faut qu’on parle le même langage et les débats sont de débats d’initiés.
Malgré cet état de fait, il y a des tradi-praticiens qui disent soigner l’hépatite B. Quel est votre commentaire ?
On ne soigne que ce que l’on connait. Dire qu’on soigne l’hépatite, c’est trop osé, parce que pour distinguer de quel type d’hépatite il s’agit, il faut faire des examens de sang. Ce que le tradi-praticien ne fait pas. Ce que le tradi-praticien appelle souvent l’hépatite, c’est la jaunisse qui est un signe de plusieurs maladies et non d’une seule maladie. La jaunisse peut avoir pour cause, une affection hépatique, une affection du pancréas, une affection sanguine comme la drépanocytose, une affection comme le paludisme. Et beaucoup d’autres affections médicales comme chirurgicales peuvent donner la jaunisse. Mais tout n’est pas hépatite. Et l’hépatite B qui donne la jaunisse est d’à peu près 10%. Sinon, la plupart des hépatites sont sans jaunisse et vont vers la chronicité. Contrairement à ce que les gens pensent, nous ne sommes pas contre les tradi-praticiens. La preuve est qu’il y a une section au niveau du ministère de la Santé qui s’occupe des tradi-praticiens et qui est dirigé par un professeur d’université. Les tradi-praticiens sérieux ont une carte qui permet de les reconnaitre et ceux qui ont des produits, soi-disant, efficaces sont testés au niveau de l’Unité de formation et de recherche en Sciences de la santé. Si ce produit est vraiment efficace, on s’entend avec le ministère pour l’industrialiser. Donc, nous ne sommes pas contre la médecine traditionnelle qui soigne plus de patients que la médecine moderne mais nous sommes pour des tradi-praticiens sérieux qui ont une efficacité dans leur action.
A quelles conclusions êtes-vous parvenues à la fin du congrès ?
Pour ce qui est de l’hépatite virale qui trouble notre sommeil, la conclusion est qu’il faut informer, sensibiliser, dépister en masses, en famille, dans les marchés, sur les lieux de travailler partout où il y a des gens. Il faut vacciner et prendre en charge ceux qui ne le sont pas pour l’hépatite B. Il faut aussi prendre en charge ceux qui souffrent de l’hépatite C, les traiter et les guérir. Pour cela, il faut rendre accessible les produits et la prise en charge. Donc, il y a un effort à faire au niveau des gouvernants pour mener la lutte pour prévenir ce qui peut l’être et soigner ce qui doit être pris en charge. Pour ce qui est de la maladie hémorroïdaire, il faudrait que les patients soient informés, sensibilisés afin de les amener à consulter. Pour ce qui est du cancer du tube digestif, il faudrait surtout savoir comment manger, que manger ? Il faudrait manger propre, manger beaucoup de légumes, de fruits, éviter les huiles frelatées, les huiles cuites, refroidies et réutilisées. Il faut aussi éviter les pesticides et les herbicides, tout ce qui est employé pour le jardinage et qui nous crée des soucis. Il faudrait non seulement faire attention au formol que l’on utilise pour conserver le poisson frais mais aussi aux carbures que l’on utilise dans l’alimentation.
Mais comment vos recommandations vont-elles se traduire par rapport au bien-être de la population ?
Une fois que l’autorité aura reçu nos conclusions et qu’elle les aura prises en compte, je pense que les patients en bénéficieront parce qu’on va renforcer les acteurs de la santé, on va informer les patients parce qu’il y a très souvent un déficit de sensibilisation et d’information des patients.
Un dernier mot ?
C’est dire toute notre joie d’avoir pu tenir ce congrès et de le réussir parce qu’au cours de ce congrès, nous avons programmé 7 conférences qui ont toutes eu lieu avec des experts venus de plusieurs pays d’Afrique et d’Europe. Nous avons eu un nombre important de participants venus de 10 pays d’Afrique, d’un pays d’Europe, la Belgique. Nous avons eu à écouter 79 communications orales, deux symposia, 16 communications affichées. De l’avis de tous, c’était une réussite et nous nous en réjouissons. C’est l’occasion pour nous de remercier tous ceux qui nous ont aidés à le tenir. Merci à tous ceux qui se sont intéressés à notre activité. Nous nous donnons rendez-vous dans 2 ans.
Interview réalisée par Françoise DEMBELE