Ils ne sont pas nombreux, ceux qui connaissent cette maladie dans le monde, à fortiori au Burkina Faso. Et pourtant elle existe. La preuve, 7 patients hémophiles sur 10 ne sont pas diagnostiqués. Ceux qui ont la chance de l’être ne sont pas ou presque pas traités. Au Burkina Faso, on en dénombre au moins 1700. La méconnaissance de l’hémophilie fait de l’ombre sur les personnes atteintes de cette maladie. Pourtant, le traitement de l’hémophilie se révèle être un défi, surtout chez les malades vivant dans les pays émergents comme le Burkina Faso où les facteurs de coagulation coûtent extrêmement chers. Alors, le maître-mot chez les patients c’est la prudence, c’est-à-dire tout mettre en œuvre pour ne pas se blesser et saigner. Comment vivent les malades atteints d’hémophilie ? Comment les parents appréhendent-ils cette pathologie ? Quelle prise en charge pour ces malades ? Zoom sur une maladie méconnue au Burkina Faso.
Qui aurait cru qu’une petite éraflure saignante pourrait conduire à une mort par hémorragie. Eh oui cela existe. Et qui plus qu’un parent d’enfant atteint d’hémophilie pour extérioriser ce que peuvent ressentir non seulement les parents, mais aussi les enfants vivant avec l’hémophilie. Aristide Zongo, président de l’Association des hémophiles du Burkina Faso (AHBF) est le père d’un garçonnet atteint d’hémophilie. Selon lui, savoir que son enfant est atteint d’une telle maladie n’est pas toujours facile à accepter. « Nous l’avons su, quand il avait un an et demi. Et il s’est cogné la tête quand un voisin s’amusait avec lui. En moins de quelques minutes, l’enfant avait une énorme bosse sur la tête ». A noter qu’Aristide est un agent de l’Etat exerçant en province. « J’étais à Dori en ce moment et il se trouvait que les appareils pour faire les différents examens étaient en panne au (Centre hospitalier régional) CHR de Dori. Donc nous avons été admis à l’hôpital Yalgado. Au cours de la consultation, le médecin pensait qu’il y avait du pus dans la tête de l’enfant parce qu’au toucher de la bosse, elle s’enfonçait par endroit. Il a fait une ponction. Et dans la seringue, il n’y avait que du sang frais. Et en moins de deux minutes, la bosse a doublé de volume. A l’hôpital, on a fait une pléiade d’examens et c’est à travers ces examens que le médecin a su que mon fils a l’hémophilie. Il voulait faire une intervention chirurgicale mais comme il était en face d’un hémophile, il a préféré y renoncer et lui prescrire des comprimés. Nous avons suivi le traitement et quelques jours après la bosse a disparu et l’enfant s’est rétabli. Ce n’est qu’après que le médecin nous a informé que l’enfant souffrait d’hémophilie. Il nous a signifié que nous avons eu la chance que la blessure était externe parce que si la boite crânienne était touchée on ne parlerait pas de mon enfant aujourd’hui ».
Ne sachant pas ce qu’est l’hémophilie en ce temps, a dit Aristide, il s’est alors documenté sur la dite maladie. « Vu que les personnes souffrantes d’hémophilie doivent faire très attention pour ne pas se blesser, nous surveillons notre enfant comme de l’huile sur le feu. Aujourd’hui il va bien, mais il ne peut pas s’épanouir comme les autres enfants », nous a confié Aristide.
Un acte chirurgical banal peut se révéler être très dangereux pour le sujet hémophile
Vu que la probabilité de se blesser à tout moment, quand on fait de l’exercice physique, est grande, les sujets hémophiles ne peuvent pas faire de sport intense. Et pourtant Alassane, âgé de 18 ans, aime bien faire le sport. Mais il ne peut s’y adonner à cœur joie parce qu’il est hémophile. « J’aimais bien jouer au ballon mais aujourd’hui je ne peux plus le faire parce qu’on me l’a interdit. Je fais quand même le sport mais il n’est pas intense ; et je fais très attention pour ne pas me blesser. Pour mieux vivre, je suis à la lettre les conseils du médecin». C’est dire à quel point la prudence est exigée au point qu’un acte chirurgical banal chez le sujet bien portant peut se révéler être très dangereux pour le sujet hémophile. La preuve : « la dernière fois que j’ai été hospitalisé, c’était lors de ma circoncision en 2012 à l’âge de 14 ans. J’ai beaucoup saigné et longtemps séjourné à l’hôpital pour qu’on puisse stopper l’hémorragie ». Pour tout dire, Alassane lâche avec lassitude « vivre avec l’hémophilie n’est pas facile ».
« 300 000 F CFA pour le médicament le moins cher et 5 millions de F CFA pour l’hémophilie sévère »
Ce n’est facile ni pour les malades, ni pour les parents de malades. « Aucun parent ne souhaiterait avoir un enfant malade d’hémophilie. Mais comme c’est arrivé on fait avec », a fait remarquer Aristide Zongo. « Heureusement que certains médecins sont prêts à nous aider. Mais la prise en charge reste la première difficulté. Les médicaments sont excessivement chers, environ 300 000 F CFA pour le médicament le moins cher et 5 millions de F CFA pour l’hémophilie sévère », nous informe Aristide. La maladie est peu connue dans le monde, mais dans certains pays, la prise en charge des malades est subventionnée, comme en France. Mais au Burkina, ce n’est pas encore le cas. D’où le cri du cœur de Aristide : « Je demande qu’il y ait une sensibilisation autour de l’hémophilie et je souhaite que le ministère de la santé soit au centre de tous ce qui concerne cette maladie ».
Qu’est-ce que l’hémophilie ?
Dans notre jargon, nous dit Dr Fabienne Sanou, hématologue au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, (CHU-YO), « on appelle l’hémophilie une maladie hémorragique car, quand le sujet se blesse, le saignement a du mal à s’arrêter. L’hémophilie est liée à un déficit en facteurs de coagulation parce que quand le sujet normal saigne, il y a un filet qui se forme et qui bouche la brèche permettant au saignement de s’arrêter », explique-t-elle. Mais pour le sujet hémophile, c’est tout autre. En effet, Dr Sanou explique : « Quand on est hémophile, cela veut dire qu’il y a deux éléments intervenant dans la coagulation du sang qui manquent. Ce sont le facteur 8 et le facteur 9. En fonction du facteur qui manque, parce que les deux ne peuvent pas manquer en même temps, on parle d’hémophilie A, quand c’est le facteur 8 qui manque et d’hémophilie B quand c’est le facteur 9 qui manque. Et le type le plus fréquent c’est l’hémophilie A ». La pathologie existe au Burkina Faso mais est méconnue par la population à cause de plusieurs raisons. En ce qui concerne les manifestations, bien qu’étant une maladie du sang comme la drépanocytose, l’hémophilie se manifeste différemment, comme nous le confirme Dr Sanou : « L’hémophilie ce n’est pas la drépanocytose ». A l’entendre, l’hémophilie peut survenir dans la famille sans qu’aucun des parents n’ait un antécédent. « Ce sont des cas rare mais cela arrive », a-t-elle reconnu. Et l’exemple le plus parlant « est le cas du fils de Aristide Zongo ». Autrement, c’est la maman qui porte le germe de l’hémophilie et qui le transmet à ses fils et à une partie de ses filles, nous renseigne-t-elle. « Les filles vont être des porteuses de la maladie mais elle ne va pas se manifester. En général, la maladie se manifeste quand la maman se marie avec quelqu’un de sa propre famille, le cousin ou toute autre personne proche. C’est pourquoi on rencontre ces genres de maladies dans les familles où la consanguinité est plus pratiquée » a-t-elle affirmé.
« C’est la femme qui transmet l’hémophilie »
Mais comment se rend-on compte que l’enfant est hémophile ? « C’est quand il commence à marcher ou « à faire quatre pattes ». Et s’il a une petite égratignure, la plaie saigne et ne s’arrête pas. La douleur vient quand le saignement n’est pas pris à temps en charge. Les parties du corps les plus concernés sont les genoux. Suivent les coudes, les épaules et les hanches. Mais, en général, tous les organes sont concernés par l’hémorragie » nous confie Dr Sanou. Elle a tenu à préciser que « les formes les plus graves c’est quand les saignements interviennent à l’intérieur du corps parce qu’on ne les détecte pas à temps. Et quand on les détecte, en fonction de la localisation, ce peut être extrêmement grave ». A titre d’illustration, Dr Fabienne Sanou évoque, les saignements à côté du cou qui peuvent provoquer un potentiel étouffement quand les artères se bouchent. Les écoulements au niveau du cerveau sont rares mais extrêmement dangereux parce qu’on ne peut pas les arrêter. Face à une maladie aussi grave, pour Dr Sanou, la meilleure prise en charge c’est l’éducation des parents du patient et du patient lui-même. Mais la première chose à faire quand les parents vont à l’hôpital avec l’enfant hémophile « c’est de signaler à l’agent de santé l’hémophilie du patient. C’est très important », a-t-elle insisté. Car selon elle, compte tenu de l’hémophilie du patient, il y a des actes que l’agent de santé ne doit pas poser. A titre d’exemple, les vaccinations des enfants hémophiles ne se font pas en intramusculaire mais en sous-cutanée.
Malgré toutes les précautions que le patient peut prendre, il n’échappe pas tout le temps aux blessures. Dans ce cas, Dr Sanou estime que le premier réflexe c’est d’aller dans la structure sanitaire qui s’occupe de l’enfant.et si la blessure se situe au niveau des articulations, le médecin conseille de ne surtout ne pas masser l’articulation blessée.
L’hémophilie, apparaissant comme une nouvelle pathologie est aussi complexe que son mode de transmission. En effet, Dr Fabienne a clairement signifié que : « c’est la femme qui transmet la maladie ». Pourquoi est-ce la femme qui transmet la maladie ? Il faut aller dans les entrailles du corps humains pour le comprendre. En effet, « c’est au niveau de l’ADN, des chromosomes que les choses sont programmées. Le gène qui commande la fabrication du facteur 8 et du facteur 9 est porté par le chromosome X qui détermine le sexe de l’enfant. C’est pour cela que c’est la qui femme porte la maladie. Ce gène est récessif, c’est-à-dire que s’il est porté par un seul X et que l’autre X de la femme ne le porte pas, il n’y a pas de manifestation de la maladie. C’est pourquoi les femmes ne font pas la maladie. Alors que chez l’homme, quand un X qui porte l’anomalie croise un Y qui n’a rien, l’homme fait la maladie. Un homme hémophile peut bien avoir des enfants qui ne manifestent pas l’hémophilie. Si sa femme n’est pas hémophile, aucun de ses garçons ne sera hémophile puisque c’est le chromosome X qui porte la maladie et non le Y. Mais toutes ses filles vont porter l’anomalie et pourront la transmettre à leurs garçons », explique succinctement Dr Sanou.
« Les médicaments destinés aux hémophiles ne se vendent pas en pharmacie »
Il est ressorti que les malades sont surtout pris en charge en pédiatrie parce qu’au Burkina Faso, la majorité des patients sont des enfants. Les adultes ayant survécu à la maladie sont pour la plupart hors du Burkina Faso. Selon notre hématologue, « à l’époque, les enfants hémophiles atteignaient difficilement l’adolescence. Les choses ont évolué de nos jours». Certes, mais l’accès aux médicaments, pour soigner l’hémophilie, est difficile. « Les médicaments destinés aux hémophiles ne se vendent pas en pharmacie. C’est à usage exclusivement hospitalier », nous renseigne Dr Fabienne Sanou. Dans ce cas, que faire quand la personne atteinte d’hémophilie souffre ? Il n’y a pas mille solutions pour sauver la vie du patient. « En cas de saignement, on injecte le produit qui l’arrête, s’il est disponible. Au cas contraire, on procédera à une transfusion sanguine. Dans tous les cas le facteur manquant doit être rapidement apporté au malade afin de stopper le saignement » explique Dr Sanou. Elle a aussi ajouté que de façon spontanée le saignement peut s’arrêter mais c’est très lent et cette lenteur peut causer beaucoup de dégâts irréparables. Sinon Docteur estime que la forme la plus diagnostiquée au Burkina Faso est l’hémophilie A. En témoigne les chiffres ; sur une trentaine de malades hémophiles, 2 personnes font l’hémophilie B.
L’hémophilie n’est pas encore un problème de santé publique mais est quand même une maladie préoccupante. Pour la contrôler, Dr Fabienne Sanou demande aux parents de s’assurer que leur enfant hémophile a un centre de suivi où il peut se faire prendre en charge rapidement à n’importe quel moment. Pour ceux qui ne le sont pas, Docteur demande, surtout aux jeunes qui envisagent de se marier, de faire réellement l’examen prénuptial et éviter la consanguinité, c’est-à-dire le mariage entre cousins et cousines et toute autre personne proche.
Pour terminer, Dr Fabienne a lancé un cri du cœur à l’endroit des autorités, en faveur de la prise en charge des patients hémophiles parce que, dit-elle « ils n’ont pas toujours les moyens de faire face à la maladie ». A l’endroit des agents de santé, Dr Sanou a souhaité que les médecins soient bien formés pour identifier et diagnostiquer rapidement les cas d’hémophilie afin de les prendre en charge le plus rapidement possible.
Anavah KOETA