Certains, tels des diesels, ne démarrent pas au quart de tour ; d’autres démarrent plus facilement sans pouvoir arriver à destination, et quelques autres ont du mal à embarquer dans l’aventure…érotique. Ainsi pourrait-on résumer de façon imagée quelques dysfonctions sexuelles allant de la difficulté à se mettre en érection aux éjaculations précoces en passant par le manque de désir. Couramment appelé «pannes sexuelles», le problème est présent dans de nombreux couples, jeunes comme vieux et touche aussi bien l’homme que la femme. Mais qui sont ceux qui en parlent vraiment? Pourquoi le sujet de la sexualité est-il encore tabou sous nos tropiques au XXIe siècle? Quelles sont les causes et les conséquences des pannes sexuelles? Peut-on y remédier ? Regards croisés, dans ce dossier, d’un spécialiste de la santé de la reproduction, d’un tradipraticien et de citoyens sur un problème majeur de santé publique qu’on couvre pourtant d’un voile pudique.
«Vous voulez parler de ce sujet, alors là je vous félicite parce que les gens fuient le débat. Même en votre sein, rares de journalistes osent s’aventurer sur ce terrain. Pourtant il faut bien qu’on en parle, c’est un problème de santé comme les autres». C’est en ces termes que nous a accueillis le Pr Charlemagne Ouédraogo (agrégé en Gynécologie-obstétrique et spécialiste des questions de la reproduction le mercredi 23 novembre 2016 sur le site du congrès des gynécologues qui se tenait à Ouaga 2000) pour aborder la question des pannes sexuelles.
Un petit micro-trottoir dans la ville de Ouagadougou et on se convainc tout de suite des dires du docteur. «Les pannes sexuelles, vous connaissez? ». La plupart des interrogés répondent par la négative à moins qu’ils n’osent pas l’avouer.
A l’Université Ouaga I Pr Ki-Zerbo, quelques étudiants acceptent pourtant de jouer le jeu. Inscrit en Sociologie, Wahabou Baguia pense que les pannes sexuelles renvoient aux termes médicaux comme l’infertilité et l’impuissance sexuelle. Le dernier cas, c’est le fait, selon lui, « que l’homme n’arrive pas à être en état d’érection, dans les dispositions pour accomplir l’acte sexuel ». Pour le premier, « le problème ne se pose pas au niveau de l’érection mais concerne plutôt le contenu de l’éjaculation, c’est-à-dire ce qu’il y a dans le sperme, qui peut engendrer l’ovulation et entraîner la fécondation».
Disposant d’une «connaissance vague» sur le sujet, son camarade Hyacinthe Tioyé identifie les pannes sexuelles à la faiblesse sexuelle qu’il ne définit pas mais en trouve par contre des causes : «Ça peut être dû aux hémorroïdes, aux problèmes alimentaires comme l’excès de consommation de sel et de cubes alimentaires ainsi qu’à des problèmes d’ordre mental».
Visiblement plus averti, Lassané Willy de la faculté de Lettres modernes sait par exemple que la faiblesse sexuelle et l’éjaculation précoce sont des problèmes qui ont pris de l’ampleur dans notre société. Il en veut pour preuves les affiches au niveau des feux tricolores qui font la publicité de produits contre ces maux. «C’est une préoccupation présente dans les couples mais dont on parle peu. Pourtant, elle cause des dégâts pouvant même entraîner la femme dans l’infidélité. Mais seuls ceux qui ont le courage vont consulter un agent de santé. La consommation d’aliments comme le lait, les œufs, l’huile, le tabac, et le manque de sport peuvent occasionner des troubles sexuels. », a-t-il confié doctement avant d’ajouter, avec un sentiment d’insatisfaction, «peut-être que les médecins pourront vous en dire plus ».
Justement qu’en disent les spécialistes du domaine ?
Pour le Pr Charlemagne Ouédraogo, déjà l’appellation «pannes sexuelles» n’est pas médicale. Dans le jargon, «on parlera, de façon générale, chez l’homme, de dysfonction érectile qui est l’incapacité partielle ou entière pour un homme de maintenir une érection qui permette d’avoir un rapport sexuel complet, le rapport sexuel complet étant un acte sexuel qui va jusqu’à l’éjaculation ; chez la femme, on parlera de défaut de lubrification, ce qui exprime une difficulté à l’excitation pour accomplir le cycle de la sexualité. Dans ce cas la femme se retrouve dans une sécheresse vaginale, ce qui va perturber les rapports sexuels».
A ces principales formes s’ajoutent, à en croire notre spécialiste, d’autres types de pannes liées à l’orgasme : il s’agit des troubles de chaque côté pour atteindre l’orgasme, c’est-à-dire pour jouir comme on dit de façon triviale ; c’est par exemple le cas de la frigidité chez la femme.
Qu’en est-il de ce phénomène un peu « mystique » qui survient parfois lors des rapports sexuels où le sexe de l’homme reste bloqué dans le vagin de la femme à l’image de ce qu’on observe souvent chez des animaux tel le chien en période de rut? « C’est une autre forme de panne sexuelle. C’est ce qu’on appelle vaginisme. C’est la contracture réflexe des muscles qui entourent le vagin. Elle peut, en effet, aller jusqu’à emprisonner le sexe de l’homme qui y reste coincé. Mais ça n’a rien de mystique, le phénomène s’explique médicalement. Il survient lorsque les rapports sont faits dans une situation anormale, c’est-à-dire dans un contexte de stress ».
Quelles en sont les causes ?
Les causes sont multiformes. On peut citer, pele-mêle le manque de désir, l’éjaculation précoce, certains traumatismes psychologiques ou physiques (lorsque le rapport est douloureux) ; les maladies organiques (le diabète et la tension) ; les maladies infectieuses ; la grande routine dans le couple (quand la sexualité est monotone dans un foyer, elle peut entraîner une perte de l’intérêt, et la fréquence des rapports sexuels baisse). Sans oublier que les Mutilations génitales féminines (MGF), notamment l’excision, sont également responsables de nombreux problèmes sexuels de la femme. «Le fait d’agresser l’organe génital, le fait d’amputer le clitoris qui permet à la femme d’améliorer sa sexualité causent des troubles de la sexualité », souligne le docteur.
D’autres facteurs comme l’âge, la consommation excessive d’alcool et de tabac peuvent également occasionner des pannes sexuelles. «Oui, plus on prend de l’âge, plus les capacités sexuelles diminuent, et c’est naturel. Il n’y a pas de personne qui puisse garder sa virilité indéfiniment. Quant à l’alcool, à petite dose il retarde l’éjaculation, mais consommé exagérément, c’est l’effet inverse que ça donne. La cigarette est également nocive à la santé de la reproduction aussi bien chez la femme que chez l’homme. A la longue, les fumeurs vont avoir une réduction de leurs capacités sexuelles, et les pannes seront plus fréquentes chez les fumeurs chroniques », a indiqué le Professeur.
Quid du surpoids ? « Non, il ne nuit pas à l’acte sexuel. Il y a des femmes qui sont obèses mais vivent correctement leur sexualité. Par contre il y a des femmes minces qui sont frigides. Toutefois le surpoids est nocif à la santé en générale, il est source de diabète, d’arthrose et d’autres problèmes métaboliques ».
Un bon apprentissage
Concernant l’éjaculation précoce, qui est fréquente chez les hommes, le docteur dira que ce n’est pas une maladie en tant que telle mais plutôt un symptôme qui traduit une grande sensibilité. «C’est rare de trouver un homme qui n’a jamais eu ça. L’éjaculation précoce peut se soigner à travers un bon apprentissage sexuel et une meilleure compréhension du mécanisme sexuel. On la corrige juste avec des conseils ». Quelles sont donc ces petites ficelles pour réussir sa sexualité ? Voici l’ordonnance du toubib : «Par exemple on va demander à la partenaire de prendre en compte certaines parties du corps très sensibles de son homme dans les préliminaires pour éviter que ces zones ne soient hyper sollicitées pendant l’acte ; on conseillera à l’homme également de faire du sport pour mieux maîtriser son éjaculation et de maîtriser son stress», prescrit notre « sexologue » en guise de…préliminaires avant de se raviser en ces termes : «Mais attendez, nous n’allons pas faire une consultation en ligne ». (Rires).
Mais il ne tarde pas à se reprendre. Et de poursuivre : « Si vous avez un problème passager, c’est-à-dire si par exemple l’éjaculation précoce survient une seule fois, il est inutile d’y chercher des solutions. Mais si c’est répétitif, il faut se rendre dans un centre de santé et poser le problème. C’est la conduite à tenir également si vous perdez votre érection brutalement, si vous n’arrivez pas à entrer en érection ou si vous avez du mal à avoir une éjaculation en ce qui concerne les hommes. De même, le manque de plaisir et/ou d’orgasme, le défaut de lubrification, les brûlures, les déchirures doivent faire l’objet de consultation pour les femmes. Le mieux c’est de venir en couple pour poser le problème, ce qui va permettre au praticien de mieux comprendre, de prendre en compte les préoccupations de l’un et de l’autre et de donner un conseil éclairé».
Mais, foi du Pr Ouédraogo, ce genre de consultations sont rares sous nos tropiques. Et cela pourrait avoir une explication sur le plan culturel : «En général, les hommes consultent lorsqu’ils perdent leur capacité érectile. Les femmes consultent très peu parce qu’elles n’ont pas d’orgasme. Dans ce domaine l’homme viendra plus facilement voir un médecin que la femme. Cela est aussi dû à notre éducation, la femme n’est pas éduquée pour valoriser sa sexualité à travers l’orgasme alors que l’homme, lui, on l’a éduqué en mettant en exergue sa virilité. Notre contexte d’éducation a ainsi tué la sexualité de la femme», a-t-il conclu.
C’est peut-être difficile à comprendre, mais la question du sexe est en effet encore taboue dans le contexte burkinabè où on l’entoure toujours d’un voile pudique. «Ce n’est pas pour rien qu’en général ça se fait la nuit», analyse un ancien qui a blanchi sous le harnais. Ce qui fait que même les quelques rares personnes qui ont le courage de consulter n’arrivent pas toujours à dompter leur «honte» quand il s’agit d’aller acheter les produits en pharmacie pour se traiter. A en croire une vendeuse dans une officine dans la zone du SIAO, on croirait parfois à un jeu d’acteurs : «Pour ceux qui ont des ordonnances ça va ; ils te tendent le papier et ne te regardent plus jusqu’à être servis. Mais les autres qui viennent comme ça ont du mal à prononcer le nom du produit, certains même peuvent aller et revenir sans pouvoir dire ce qu’ils veulent», confie-t-elle.
Du soumbala comme médicament ?
Certains malades qui n’ont pas confiance au traitement médical ou par simple préférence ont recours aux guérisseurs traditionnels. Mais là aussi, que de stratagèmes pour exposer le problème. «Quand ces gens (les malades : Ndlr) viennent à nous, ils ne posent pas ouvertement le problème. Ils tournent toujours en rond, certains vont te dirent qu’ils viennent de la part d’un ami ou d’un parent qui souffre mais qui ne veut pas venir lui-même prendre le médicament. Mais comme nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, nous décelons le jeu et n’hésitons pas à leur venir en aide», témoigne le Président de l’Association des tradipraticiens de Boins-yaaré, Saïdou Ouédraogo, qui leur trouve des excuses : «nous les comprenons, car la honte fait partie de nos valeurs ancestrales ». Sur les causes des troubles sexuels qui touchent mêmes les plus jeunes, le guérisseur sexagénaire pointe du doigt l’influence des civilisations occidentales : «Avant nous ne connaissions pas ce genre de problème. Mais de nos jours, mêmes des jeunes de 25 à 30 ans ne peuvent pas satisfaire convenablement une femme. J’en accuse les Blancs qui empoisonnent notre alimentation. Je veux parler des bouillons culinaires qui handicapent sexuellement. C’est aussi le cas de l’huile, un homme ne doit pas consommer des plats trop gras. A cela s’ajoute l’excision dont on combat maintenant la pratique alors qu’une fille non excisée n’est jamais rassasiée sur le plan sexuel, et si son mari n’arrive pas à la satisfaire elle va courir derrière d’autres hommes. J’invite donc à un retour aux sources. Peut-être que ça ira mieux ». Pour ce vieillard, la consommation du soumbala et du beurre de karité peut contribuer à résoudre ce genre de problème.
Concernant les bouillons alimentaires qui seraient à la base de pannes sexuelles, le gynécologue se réserve de confirmer une telle croyance : «Ce n’est pas démontrer scientifiquement », se contente-il de répondre.
Mais qu’en est-il de ces autres produits alimentaires dont la consommation pourrait aider à lutter contre les pannes ? Il s’agit, entre autres, de l’oignon, du gingembre et de certaines épices, réputées aphrodisiaques. Selon notre consultant, tout cela n’est pas attesté médicalement. Cependant, il peut y avoir des effets placebo (1). Dans tous les cas, a-t-il souligné, il faut toujours faire très attention dans le traitement de telles affections liées aux organes de la reproduction. A cet effet, il faut s’abstenir d’utiliser à tout vent et les yeux fermés les produits de l’indigénat, ceux dits «chinois » et même les produits pharmaceutiques, car, a-t-il expliqué, « dans ce domaine l’automédication est très dangereuse, elle entraîne de sérieuses complications. Saviez-vous que certains produits dits chinois ne viennent même pas de la Chine ? C’est juste des produits reconditionnés par des commerçants véreux, et la plupart de ces médicaments contiennent des substances nocives à la santé (priapisme ou érection douloureuse qui peut conduire à une impuissance sexuelle ou à une insuffisance rénale). De même les médicaments pharmaceutiques comme le viagra, ne doivent pas être achetés directement sans consulter un agent de santé».
Dans la même veine, Pr Ouédraogo a tenu à attirer l’attention de la gent féminine sur le danger d’utiliser les produits dits «secrets» que les femmes introduisent dans le vagin comme ascenseur pour…monter au 7e ciel : «Ils ont été sources de nombreux problèmes de santé. Il y a des femmes qui ont eu leur sexualité arrêtée définitivement, car ces produits ont entraîné une fermeture totale du vagin, y ont laissé des séquelles ou ont causé la stérilité. C’est vrai qu’actuellement on peut faire des opérations pour réparer le vagin, mais cela a ses limites et c’est toujours mieux d’avoir un vagin naturel plutôt que réparé». En la matière comme dans de nombreux autres domaines, l’original est toujours mieux que la copie.
Il en existe même qui vont jusqu’à utiliser des «sex toys », à l’image des pénis artificiels, des godemichés (phallus artificiel servant à faire jouir) pour se procurer du plaisir. Dans ce cas, le plaisir n’est pas naturel. «Un objet ne peut pas remplacer un sexe normal. Les sexes artificiels ne peuvent pas résoudre le problème. Si une personne utilise ce genre d’appareils, c’est parce qu’elle y a pris goût et y trouve son compte ». Car pour certains, qu’importe la coupe comme dit le dicton, pourvu qu’il y ait l’ivresse…sexuelle. Qu’est-ce qu’on ne fera pas pour prendre son pied.
Sous la coordination d’Alima Séogo/Koanda
Source : L’observateur Paalga
Travaux pratiques pour améliorer sa sexualité
La sexualité n’étant pas innée, c’est avec l’expérience qu’on acquiert de la compétence et du savoir-faire en la matière. Ainsi, le couple doit parler de sa sexualité pour être performant. Après chaque rapport, les partenaires doivent en discuter et faire un bilan. C’est comme ça qu’ils apprendront à corriger leurs insuffisances et à tenir compte de chacun d’eux. Il ne faut pas se tourner le dos après l’acte. L’homme doit toujours demander à sa compagne si cela a répondu à toutes ses attentes ; malheureusement, il y a des couples qui évoluent dans le mutisme jusqu’à la ménopause sans savoir que plus on varie les postures, d’aucuns diront les positions, plus ça suscite de l’intérêt.
L’Observateur Paalga