Paludisme : la résistance des parasites aux dérivés de l’artémisinine touche maintenant l’Afrique

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La résistance à l’artémisinine, constituant principal des dernières générations de traitements antipaludiques recommandés par l’OMS, est aujourd’hui répandue en Asie du Sud-Est mais n’avait, pour le moment, pas été décrite en Afrique. Des chercheurs de l’Institut Pasteur, en collaboration avec le Programme de Lutte contre le Paludisme au Rwanda (Rwanda Biomedical Centre), l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Hôpital Cochin et la Columbia University (New York, USA) ont détecté pour la première fois au Rwanda, l’émergence et la diffusion de parasites du paludisme capables de résister aux dérivés de l’artémisinine. Les résultats de ces travaux ont été publiés le 3 août 2020 dans Nature Medicine.

Le paludisme, dû aux parasites du genre Plasmodium, représente un problème majeur de santé publique. Cette maladie sévit dans 89 pays où près de 3,2 milliards d’individus (soit près de la moitié de la population mondiale) sont exposés au risque d’infection, pour laquelle il n’existe pas de vaccin. Chaque année, on enregistre plus de 200 millions de cas et plus de 400,000 décès.

Depuis plus de 15 ans, le traitement des accès palustres (cycles typiques de la maladie alternant fièvre, tremblements avec sueurs froides et transpiration intense) à Plasmodium falciparum repose sur l’utilisation d’une combinaison thérapeutique (appelée ACT pour Artemisinin-based Combined Therapy) associant un dérivé de l’artémisinine à action très rapide et une molécule partenaire à demi-vie longue. Depuis 2008, il est observé en Asie du Sud (Cambodge, Thaïlande, Vietnam, Myanmar et Laos) une fréquence croissante de parasites capables de résister aux dérivés de l’artémisinine. Cette résistance, entrainant une réduction du temps d’élimination des parasites présents dans le sang des sujets traités par un ACT, représente actuellement une menace sérieuse pouvant entraver les efforts de lutte contre la maladie. En particulier, la crainte majeure est de voir diffuser ces parasites résistants en Afrique subsaharienne, continent le plus touché par le paludisme (>90% des cas), comme cela fut le cas avec les précédentes générations d’antipaludiques (chloroquine et antifoliques/antifoliniques). Dans les années 80, la perte d’efficacité de la chloroquine est soupçonnée d’avoir contribué à la survenue de plusieurs millions de décès supplémentaires dus au paludisme chez les jeunes enfants africains.

Depuis 2014, la surveillance de la distribution géographique de la résistance à l’artémisinine repose sur la détection, chez les parasites, de mutations au sein du gène K13. Ces mutations sont en particulier soupçonnées de réduire la fonction de la protéine K13, protéine participant possiblement à la dégradation de l’hémoglobine dans le globule rouge infecté. Actuellement, en Asie du Sud-Est, les parasites résistants les plus fréquents portent la mutation C580Y. Récemment, des parasites mutants C580Y ont aussi été détectés au Guyana et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En Afrique, où les ACT restent très efficaces, la détection de parasites mutants K13 est rare. A titre d’exemple, l’étude KARMA, première cartographie mondiale de la résistance à l’artémisinine, a permis d’observer que moins de 5% des échantillons africains présentaient des mutations et que plus de 50% des mutants détectés n’étaient observé qu’une fois. De plus, les chercheurs avaient démontré que la mutation la plus fréquemment observée en Afrique (A578S) ne conférait pas au parasite la capacité de résister à l’artémisinine.

Impliqués dans un projet, soutenu par l’OMS, de surveillance moléculaire de la résistance en Afrique, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont récemment identifié en Afrique les premiers signes d’émergence de parasites mutants K13 résistants à l’artémisinine. Ces résultats décrivent la présence en proportions significatives de parasites porteurs de la mutation R561H, dans deux localités distantes de 100 km (prévalence de 7,4% à Masaka et de 0,7% à Rukara). Le séquençage complet de ces parasites indique que les mutants R561H ont été sélectionnés parmi les populations de parasites Rwandaises et qu’ils ne sont pas issus d’une diffusion de parasites asiatiques (de Thaïlande ou du Myanmar où la mutation R561H a déjà été observée). « Ces résultats inattendus, contrastent avec les scénarios précédents dans lesquels l’émergence de parasites résistants à la chloroquine et à la pyriméthamine en Afrique était due à la propagation de parasites résistants d’Asie du Sud-Est. Un scénario similaire était envisagé pour l’apparition de parasites résistants à l’artémisinine en Afrique » explique Didier Ménard, responsable de l’unité Génétique et résistance du paludisme à l’Institut Pasteur. La mise en évidence d’une diffusion de cette souche résistante entre plusieurs localités au Rwanda et sa capacité de résister in vitro à l’artémisinine ont des implications majeures en santé publique. Il est en effet à craindre, qu’en l’absence de mesures efficaces pour contenir la propagation de ces parasites résistants au Rwanda et dans les pays voisins, ces parasites acquièrent au cours du temps la capacité de résister aux molécules partenaires contenues dans les ACT. Il en résulterait que les seuls traitements disponibles deviendraient inefficaces, comme cela s’est produit en Asie du Sud-Est. Une modélisation de ce scenario, dans lequel aucune mesure ne serait prise, a récemment prédit que l’inefficacité des ACT en Afrique pourrait être responsable de 78 millions de cas et de 116 000 décès supplémentaires sur une période de cinq ans.

Ces recherches ont reçu le soutien de l’Institut Pasteur, l’Organisation mondiale de la santé, la World Bank (via the East African Public Health Laboratory Networking Project), la Fondation Bill and Melinda Gates (Grant OPP1140599), le Département de la défense des Etats-Unis (W81XWH-19-1-0086), et du National Institutes of Health, (R01 AI109023).

Source : Institut Pasteur

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