La situation de l’obésité est si alarmante qu’elle a été déclarée « épidémie globale » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui estime qu’elle toucherait 18% de la population mondiale et représente la deuxième cause principale de décès évitable, après la cigarette. Elle connait de nos jours une progression inquiétante en Afrique du fait de la transition nutritionnelle. Quelles sont les causes et les conséquences de ce phénomène? Quelle solution peut-on proposer au sujet obèse ? Quel comportement alimentaire adopter pour l’éviter ? Afin de répondre à ces questions, nous avons rencontré le Dr Steve Léonce ZOUNGRANA Hépato-gastroentérologue-nutritionniste, Médecin de Santé Publique et Président de l’ONG Promouvoir la Nutrition et l’Hygiène en Afrique (PNHA).
Définition de l’obésité
L’obésité encore appelée « grosseur » est généralement définie comme une accumulation excessive ou anormale de graisse dans le tissu adipeux et qui présente un risque pour la santé. Autrement dit l’individu à une prise de poids qui se fait préférentiellement sous forme de graisse. Normalement, la masse grasse ne devrait pas excéder 20-25 % du poids chez la femme et 10-15 % chez l’homme.
Une simple mesure permet de définir si le poids est « idéal ou normal » : l’Indice de Masse Corporelle (IMC), qui relie le poids à la taille de l’individu.
IMC (Kg/m² )= Poids(Kg)/ Taille²(m)
La surcharge pondérale et l’obésité sont caractérisées respectivement par un IMC supérieur à 25 et à 30. Entre 18,5 et 25, c’est le surpoids, entre 30 et 34,9 c’est l’obésité de type I de l’OMS (modérée) ; entre 35 et 39,9 l’obésité est de type II ou sévère et au-delà de 40, l’obésité est dite morbide avec le risque élevé de faire des complications.
Il existe 2 types d’obésité :
- L’obésité abdominale qui prédomine sur le ventre ou « bedaine ». Le sujet a la forme d’une pomme et le tour de taille dépasse 88 cm chez la femme et 100 cm chez l’homme.
- L’obésité gynoïde, prédominante sur le bassin donnant l’aspect d’un fruit, la poire.
A cette définition médicale s’oppose une définition socio-culturelle et donc personnelle, pouvant conduire à une surmédicalisation de sujets non obèses ou l’inverse c’est-à-dire une sous-médicalisation de sujets ne se considérant pas comme « malades ».
Etat des lieux au Burkina Faso
Au Burkina Faso, la progression de l’obésité est inquiétante. En effet, le nombre de sujets obèses qui viennent en consultation de nutrition et diététique est de plus en plus grandissant (plus de 300 patients en 2 ans). Nous avons réalisé une étude qui portait sur 64 sujets suivis en consultation de Nutrition et Diététique à Ouagadougou et avions retrouvé 18,75 % de surpoids, 35,94% d’obésité de type I (modérée), 23,44 % d’obésité de type II (sévère) et 21,87% d’obésité de type III (morbide). Il s’agissait majoritairement de femmes (82,8%) et l’obésité androïde (ou bedaine) prédominait avec 82,81% des cas. La tranche d’âge la plus concernée était celle de 30 à 45 ans (45,31% des cas). Nous recevons de plus en plus des adolescents et même des enfants de moins de 10 ans.
Une étude hospitalière réalisée par ZABSONRE et coll à Bobo-Dioulasso situait la prévalence à 7,3%.
Au vu de ces chiffres, on peut considérer l’obésité comme un problème de santé publique au Burkina Faso.
Ce problème pourrait s’accentuer si une réponse appropriée n’était pas apportée. L’OMS estime qu’au cours des 10 prochaines années, la progression des maladies cardio-vasculaires, cardiopathies et accidents vasculaires cérébraux, touchera surtout les régions de la Méditerranée orientale et de l’Afrique où le nombre de décès devrait augmenter de plus de 25%.
Les facteurs de risque
1 .L’obésité infantile est un facteur prédictif de l’obésité à l’âge adulte
En effet, pour un individu donné, il existe une corrélation possible entre l’IMC à l’enfance et l’IMC à l’âge adulte. L’obésité dans l’enfance multiplie par 2 à 6, le risque d’obésité à l’âge adulte, surtout si cette obésité est sévère.
- les facteurs génétiques
Les facteurs génétiques existent bien et on retrouve des familles à obésité. Cependant, des études ont montré que la génétique explique au maximum 5% des cas d’obésités. Pour le reste, il s’agit essentiellement de facteurs alimentaires. Quand un patient dit que le surpoids est une affaire de famille, je lui rappelle que ce qui est familial, ce sont avant tout les mauvaises habitudes alimentaires.
- Les facteurs alimentaires
Les sujets obèses ont une alimentation déstructurée qui apporte beaucoup d’énergie : Sucres et graisses. Il s’agit de sucres dits « rapides » (sucre de canne, viennoiserie, boissons gazeuses sucrées, pâtisserie, etc) ; et pour les graisses, de graisses animales (charcuteries, abats, viandes grasses etc).
Chez les sujets obèses, les troubles du comportement alimentaire sont fréquents, notamment le grignotage, les compulsions alimentaires (envies de manger certains aliments), le saut de repas, l’hyperphagie (gros repas).
Dans tous les cas, la diversité des aliments, leur caractère agréable, leur disponibilité pratiquement sans limite, l’abondance des messages publicitaires appelant à les consommer (les enfants sont une cible particulièrement fragile).
En somme, même en l’absence d’un trouble du comportement alimentaire, l’environnement nutritionnel actuel et les habitudes de consommation peuvent faciliter l’éclosion de l’obésité, notamment lorsque des prédispositions génétiques la favorisent.
- La diminution de l’activité physique
La sédentarité favorise la prise de poids de l’obésité (ainsi que certaines de ses complications). L’industrialisation, l’urbanisation et les changements des modalités d’habitat ont diminué les dépenses énergétiques. L’exercice physique est ainsi réduit aux activités de loisir qui comprennent par ailleurs des activités éminemment sédentaires (télévision, jeux vidéo et d’ordinateur…).
La prise de poids est aussi liée à l’activité professionnelle qui tend à diminuer le temps consacré aux activités physiques et sportives.
Chez les adultes, le niveau d’obésité des femmes en milieu urbain est caractéristique d’un début de transition nutritionnelle (occidentalisation du régime alimentaire). Notons que l’activité sportive n’est plus de rigueur dans les établissements scolaires et les jeux électroniques ont remplacé le football et les autres sports.
- Les facteurs psychologiques
Ils sont importants dans l’apparition de l’obésité, mais il est difficile de définir une personnalité spécifique. Les tendances dépressives, qui peuvent être cycliques, sont souvent retenues. Le stress est souvent évoqué.
- Les facteurs socio-culturels
Dans certaines sociétés, l’obésité, surtout celle de la femme est considérée comme un élément valorisant. C’est le cas des sociétés africaines où l’obésité féminine est même un critère de beauté, signe de richesse et de réussite sociale. On est face ici à une construction culturelle, sociale. Nous nous trouvons face à des normes sociales et traditionnelles selon lesquelles être gros est un signe de richesse, de réussite et de bonheur, notamment dans les sociétés de pénurie.
- Les facteurs médicamenteux
De nombreux médicaments favorisent la prise de poids et leur prescription prolongée peut être à l’origine d’une obésité chez des sujets prédisposés ou non.
- Certaines maladies
Certaines maladies conduisent à l’obésité ou comprennent dans leur tableau une obésité, mais elles sont très rarement mises en cause.
Les conséquences de l’obésité
Certaines conséquences peuvent entrainer la mort et d’autres vont plutôt altérer la qualité de vie.
1. Les complications cardio-vasculaires
Les complications cardio-vasculaires ischémiques sont de plus en plus fréquentes dans notre contexte.
Elles sont le plus souvent la conséquence de l’athérosclérose (sclérose des artères avec rétrécissement de la lumière).
Comme complications les plus importantes, on a l’hypertension artérielle, l’insuffisance coronarienne, l’infarctus du myocarde, l’angine de la poitrine ; tous consécutives à une obstruction totale ou partielle de la lumière des artères coronaires (artères qui apportent le sang au cœur lui-même).
Les varices des membres inférieurs et les phlébites sont des complications moins importantes
2. Les complications métaboliques
Il s’agit essentiellement : du diabète de type II, de la goutte, par excès d’acide urique qui peut se compliquer par une lithiase rénale (calculs de rein) qui va obstruer les reins, de l’hypercholestérolémie (consommation excessive de graisses saturées d’origine animale : viandes grasses, abats, jaune d’œuf, beurre animal etc. ) et de l’hypertriglycéridémie (consommation de sucres rapides : sucre de canne, boissons gazeuses, dattes etc, avec une place de choix pour l’alcool).
3. Les complications locomotrices
Elles altèrent la qualité de vie. L’excès de poids, maintenu durant de longues années, entraine à terme une usure prématurée du cartilage articulaire et la venue d’une arthrose précoce des grosses articulations
Il s’agit essentiellement de : la coxarthrose (arthrose de la hanche), la gonarthrose (arthrose du genou).
4. Les complications respiratoires
Elles se traduisent par une gêne respiratoire de degré variable : apnées du sommeil (étouffements), insuffisance respiratoire chronique de l’obèse.
5. Les complications durant une grossesse
Toutes les études confirment, en effet que l’obésité est un élément défavorable, tant pour la mère que pour l’enfant. Elle augmente ainsi les risques d’hypertension et de diabète pendant la grossesse, facteurs de risque bien connus d’accouchement prématuré et de complications néonatales. Une femme obèse a également plus de risque d’avoir un nouveau-né de poids de naissance élevé (macrosomie) et d’accoucher par césarienne. Il vaut mieux vaut donc veiller à ne pas prendre plus que 12 à 15 kilos recommandés pendant la grossesse.
6. Les cancers
On peut voir apparaître tous types de cancers : colon, pancréas, sein et organes génitaux féminin.
- Les conséquences économiques
Des études internationales sur le coût économique de l’obésité ont montré qu’il représente entre 2 % et 7 % des dépenses totales des soins de santé, le taux variant selon la manière dont l’analyse a été effectuée.
Au Burkina Faso, nous n’avons pas connaissance de l’estimation des dépenses de santé induites par l’obésité, mais elles seraient importantes, au vu de la prévalence des complications de cette épidémie.
Solutions
Il faut faire de la prévention secondaire. Elle consiste à adopter de bonnes habitudes de régime alimentaire (consommation de fruits et légumes, réduction de la consommation des sucres rapides et des graisses animales) et la pratique d’une activité régulière afin de perdre du poids ou de ne pas en prendre davantage.
Le régime alimentaire pour les personnes non obèses
Pour les personnes non obèses il faudra adopter un régime alimentaire équilibré qui apporte à l’organisme exactement ce dont il a besoin, sans apport excessif. Pour cela, il faudra manger régulièrement, c’est-à-dire 3 fois par jour (petit déjeuner, déjeuner et dîner), lutter contre les autres troubles du comportement alimentaire à savoir le grignotage, les compulsions et l’hyperphagie, consommer des féculents à chaque repas ( céréales et tubercules), sans être excessif, consommer des fruits et des légumes frais et parfois cuits ( au moins 5 portions par jour), consommer des produits laitiers à chaque repas ( apport en calcium) , consommer de la viande ou du poisson 1 à 2 fois /jour et limiter la consommation de sucres rapides dont l’alcool.
Le régime alimentaire pour personnes obèses
Il faudra coupler au régime alimentaire équilibré et hypocalorique, la pratique d’une activité physique
- L’activité physique.
Le maintien d’une activité physique dans la vie professionnelle et des loisirs et, surtout chez le jeune, une activité sportive ludique (lutte contre la sédentarité) est essentielle pour la prévention des prises de poids comme pour celle des maladies cardio-vasculaires. Essayer d’avoir au moins 30 à 40 minutes de marche par jour est un minimum.
- Le régime alimentaire
Nous proposons un régime alimentaire que le patient peut suivre sur le long terme. Le but est
d’obtenir une modification durable de l’alimentation, réduisant l’ingéré calorique d’environ 1/4 ou 1/3, les apports antérieurs de façon à le situer environ 600 kcal en dessous des dépenses énergétiques, sans descendre en dessous de 1200 -1 400 kcal/jour. Ce qui est bien souvent impossible à suivre à long terme.
Mais avant, le sujet devra corriger les troubles du comportement alimentaire (grignotage, saut de repas, gros repas, compulsions alimentaires). Il devra adopter un rythme alimentaire de 3 repas par jour avec 1 ou 2 collations. Le régime est hypocalorique, mais équilibré. En somme on mange un peu mais de tous les groupes d’aliments. Il faudra surtout éviter les régimes dissociés qui mettent l’accent sur un seul groupe d’aliments ; ils peuvent entrainer des carences et donc des maladies.
Nous conseillons à nos patients d’utiliser les aliments locaux en tenant compte de leur abondance relativement aux saisons de l’année.
Conclusion
La surcharge pondérale est directement responsable de problèmes cardiovasculaires, osseux, métaboliques, et surtout du diabète de type 2(dont les victimes augmentent chaque année en Afrique), bref de la mort de millions de personnes chaque année. La génétique est une condition nécessaire mais non obligatoire pour conduire à l’obésité. Les gênes ne s’expriment que lorsqu’ils sont exposés aux 2 facteurs que sont la sédentarité et l’alimentation trop riche en énergie (sucres rapides et graisses animales). En Afrique, les campagnes de sensibilisation de masse contre l’obésité sont rares et nous espérons une prise de conscience à tous les niveaux pour juguler ce fléau. Faute de quoi nous seront toujours surpris par ces nombreuses morts subites, objets de toutes les interrogations et de toutes les interprétations sociales. L’ensemble de la population et les groupes vulnérables doivent bénéficier d’une véritable éducation nutritionnelle, et cela devrait débuter depuis la tendre enfance aux premiers moments de la socialisation. « Que ton aliment soit ton remède et que ton remède soit ton aliment! » disait HIPPOCRATE au Vè siècle av-JC.
Dr Steve Léonce Zoungrana
Hépato-gastroentérologue-nutritionniste, Médecin de Santé Publique et Président de l’ONG Promouvoir la Nutrition et l’Hygiène en Afrique (PNHA).