La saison des pluies est la période de pic du paludisme au Burkina Faso. Dr Gauthier Tougri, médecin épidémiologiste, Coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), intervient pour nous faire une photographie actuelle du paludisme au Burkina Faso. Lisez-plutôt !
« Santeactu.bf » : Où en est-on, actuellement, avec la lutte contre le paludisme au Burkina Faso ?
Dr Gauthier Tougri : Le paludisme demeure un problème majeur de santé publique au Burkina Faso.
Il reste la première cause de consultation, d’hospitalisation et de décès dans les formations sanitaires avec respectivement 39,25%, 48,43% et 16,44% des cas de consultations, d’hospitalisation et de décès en 2018.
Aussi, en 2018, on a enregistré :
– 11 970 321 cas de paludisme dans la population générale ;
– 5 870 314 cas de paludisme chez les enfants de moins de 5 ans ;
– 566 901 cas de paludisme chez les femmes enceintes.
L’incidence du paludisme (pour 1000 habitants) est de 591 et 1631 chez les enfants de moins de 5 ans.
En ce qui concerne les décès, les chiffres sont en baisse avec :
– 4 294 cas de décès liés au paludisme dans la population générale soit une létalité de 0,8 ;
– 3 180 cas de décès liés au paludisme chez les enfants de moins de 5 ans soit une létalité de 1,5 en 2018.
Malheureusement, nous assistons à une augmentation des cas.
A votre avis, à quoi est due cette augmentation des cas ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette augmentation du nombre de cas au niveau de la population. Avec le progrès de la médecine, on arrive à diagnostiquer plus les cas de paludisme dans les formations sanitaires périphériques. La gratuité des soins chez les enfants de moins de cinq ans pourrait expliquer cette augmentation car la barrière financière de cette cible a été levée. Des études réalisées en 2017 montrent que seulement 44% de nos populations dorment sous moustiquaire. Cette insuffisance d’utilisation des moustiquaires pourrait expliquer l’augmentation. L’insuffisance d’assainissement de notre cadre de vie est un élément aussi qui pourrait expliquer cette augmentation. En plus, la disponibilité et l’accès aux données sont de plus en plus aisés. Mais nous cherchons toujours à savoir ce qui explique cette augmentation du nombre de cas du paludisme et c’est là toute l’importance de la recherche dans cette lutte.
Quelles peuvent être les conséquences de l’automédication en cas de paludisme ?
Les conséquences sont énormes. L’automédication, en général, est un problème. Devant tout cas de maladie, il faut d’abord faire le diagnostic pour savoir de quoi souffre le patient avant de lui administrer un traitement. Quand on prend un médicament qui n’a rien à voir avec le mal dont on souffre, cela joue sur le foie, les reins. Et actuellement, on assiste à une augmentation des cas d’insuffisances rénales, de problèmes hépatiques. Les personnes qui font de l’automédication se détruisent et cela crée des résistances au niveau des produits, au niveau du traitement du paludisme. Ce qui amène à revoir la stratégie de prise en charge au niveau du paludisme. Et cela peut prendre du temps.
Et qu’en est-il du paracétamol et autres médicaments que l’on prend dès qu’on a la fièvre ?
Le paracétamol, c’est contre la douleur et la fièvre. Mais il y a des doses qu’il ne faut pas dépasser. Mais c’est toujours mieux de se rendre dans une formation pour savoir la cause de la fièvre et la traiter.
Quel est l’impact de la pandémie à coronavirus sur la lutte contre le paludisme au Burkina Faso ?
Nous pensons que la pandémie a influencé l’utilisation des services en témoigne les données dont nous disposons. Ainsi, on a noté une diminution de l’incidence qui serait liée à une faible utilisation des services. L’incidence dans la population générale est passée de 107 pour 1000 au premier trimestre en 2019 à 79 pour 1000 au premier trimestre 2020. Par contre, on note une augmentation de la létalité passant de 0.9% au premier trimestre en 2019 à 1,2% au premier trimestre 2020. Pour la mortalité des enfants de moins de 5 ans au premier trimestre en 2020, elle est de 21 pour 100 000 enfants de moins de 5 ans contre 20,4 au premier trimestre en 2019.
La campagne de chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS) au profit des enfants de 3-59 mois a été lancée le 13 juillet dernier dans le Plateau central. Pourquoi avoir choisi cette cible quand on sait que le paludisme ne fait pas de distinction d’âges ?
Les enfants de moins de 5 ans sont les plus touchés en raison de leur faible immunité et de leur grande vulnérabilité. En effet, chez les enfants, le paludisme est responsable d’anémie chez l’enfant affectant la croissance et le développement, d’hypoglycémie, conséquences cérébrales et de nombreux décès. Les femmes enceintes aussi bénéficient aussi d’une prévention contre le paludisme par l’administration d’un traitement préventif intermittent ou TPI. En effet, dès la fin du premier trimestre, la femme enceinte bénéficie de trois comprimés de Sulfadoxine Pyriméthamine (SP) chaque mois jusqu’à l’accouchement pour éviter le paludisme. Ces comprimés sont gratuits et disponibles dans toutes les formations sanitaires.
En plus de la CPS, y a-t-il des dispositions particulières prises pour les zones où sévit plus le paludisme ?
Oui, il y a beaucoup de dispositions ou stratégies de prévention et de traitement qui sont mises en œuvre sur le terrain grâce à l’accompagnement des partenaires techniques et financiers. On peut citer entre autres :
– Le diagnostic parasitologique du paludisme au niveau des formations sanitaires publiques et privées et au niveau communautaire.
Tout cas suspect qui se présente dans une formation sanitaire bénéficie gratuitement du test de diagnostic rapide (TDR) et de la goutte épaisse / frottis sanguin (GE/FS) pour réaliser le diagnostic du paludisme.
Au niveau communautaire, les ASBC situés à plus de 5 km bénéficient également des TDR pour la confirmation diagnostic des cas de paludisme.
– Le traitement antipaludique au niveau des formations sanitaires publiques et privées et au niveau communautaire
La disponibilité des combinaisons thérapeutiques efficaces sous forme de MEG dans les formations sanitaires à des prix abordables.
Les ASBC situés à plus de 5km doivent bénéficier de ces intrants pour la PEC des cas de paludisme simple dans la communauté.
– Le traitement pré transfert
Le traitement pré transfert au niveau communautaire consiste en l’administration d’une dose d’artésunate rectal avant le transfert dans un centre approprié de prise en charge du paludisme grave. Elle est adressée aux enfants âgés de 2 à 59 mois présentant un paludisme grave.
La Région du Sahel, notamment les districts sanitaires de Djibo, de Dori, de Gorom-Gorom et de Sebba bénéficient du traitement pré transfert. L’extension de ce traitement est en cours dans la région du Centre-Nord.
La Lutte antivectorielle passe par :
– la distribution des moustiquaires imprégnées à longue durée d’action (MILDA) en routine pour les enfants de moins d’un an et pour les femmes enceintes. Les campagnes de distribution des MILDA se font tous les 3 ans;
– la pulvérisation intra domiciliaire (PID). La pulvérisation intra domiciliaire à effet rémanent vise la réduction de la densité de l’anophèle et se présente comme une des stratégies majeures de prévention du paludisme.
Elle est pratiquée actuellement dans 3 districts (Solenzo, Kampti et Kongoussi).
– il y a le traitement préventif intermittent (TPI) chez les femmes enceintes dans les formations sanitaires et au niveau communautaire.
C’est l’administration des soins prénataux chez la femme enceinte après le trimestre de la grossesse jusqu’à l’accouchement de façon supervisée. Elle prévient le risque de développer la maladie.
La lutte antivectorielle passe également par le renforcement de la communication (plaidoyer, mobilisation sociale et la communication pour le changement de comportements), la promotion de l’assainissement du cadre de vie et la recherche et le suivi évaluation.
Le paludisme coûte extrêmement cher aussi bien à la population qu’à l’Etat. Est-il prévu de développer des solutions endogènes à grande échelle contre le paludisme ?
L’un des moyens les plus efficaces pour lutter contre le paludisme reste l’assainissement de notre environnement. Et pour cela, nous avons besoin de la participation communautaire à travers la salubrité du milieu de vie. Il faut aussi éviter de conserver les eaux usées, cohabiter avec les animaux. Mais il faut dormir sous une moustiquaire imprégnée à longue durée d’action (MILDA). Nous avons également la collaboration de la médicine moderne avec la direction de la médecine traditionnelle et alternative qui travaille sur un grand nombre de molécules et nous avons grand espoir. Il y a également le développement d’un vaccin avec les centres de recherche.
Dans la lutte contre le paludisme, les populations utilisent « le mosquito » qui produit de la fumée qui chasse les moustiques. Cette fumée n’est-elle pas nocive à long terme ?
L’inhalation d’une fumée à long terme que ça soit le « mosquito » ou pas peut être nocive pour la santé. Mais nous n’avons pas suffisamment de recul pour vous donner les réels effets sur la santé. Cependant, comme moyen de prévention, nous préconisons l’utilisation des MILDA toutes les nuits, le respect des stratégies de prévention du programme et l’assainissement du milieu de vie.
Qu’en est-il des insecticides et des autres produits contre les moustiques que l’on vend à la criée ?
Nous pensons que les insecticides doivent être utilisés avec beaucoup de précaution. Il faudrait pomper les insecticides dans les chambres à coucher pour tuer les moustiques et laisser au moins 30 minutes à une heure pour laisser passer le produit avant de dormir dans les chambres. Cela permet de ne pas les inhaler et de rester en bonne santé.
Des conseils contre le paludisme en cette période pluvieuse ?
En cette saison pluvieuse, nous conseillons aux populations les éléments suivants :
– l’adhésion des populations à nos différentes stratégies de prévention telles que la campagne de chimioprévention du paludisme saisonnier chez les enfants de moins de 5 ans qui est en cours ;
– l’adhésion des femmes enceintes au traitement préventif intermittent qui est gratuit lors des soins prénataux dès la fin du premier trimestre ;
– dormir sous moustiquaires tous les jours de l’année et toutes les nuits ;
– faire porter aux enfants les habits aux manches longues ;
– l’utilisation des grilles anti moustiques dans les portes et les fenêtres des concessions ;
– c’est également demandé aux populations, devant tout signe de fièvre ou antécédent de fièvre, d’aller en consultation précocement dans une formation sanitaire pour bénéficier de la confirmation du diagnostic par les tests de diagnostic rapides (TDR) du paludisme ou la goutte épaisse / frottis sanguin (GE/FS). Une prise en charge précoce va réduire le passage des cas de paludisme simple vers les cas de paludisme grave et donc d’éviter les décès ;
– l’assainissement du milieu en évitant les eaux stagnantes, les pneus et canaris usées contenant de l’eau sale, les ordures, les herbes…
Je remercie le journal « Le Pays » pour l’opportunité qu’il nous offre de parler du paludisme. C’est également l’occasion de remercier les partenaires techniques et financiers qui nous accompagnent dans la lutte contre le paludisme.
Propos recueillis par Françoise DEMBELE