Le bon équilibre de notre corps est en partie assuré par la présence de milliards de microbes qui forment dans différents sites (l’intestin mais aussi la peau, la cavité oro-buccale…) des assemblées appelées microbiotes. En leur absence, nous sommes plus exposés à certaines maladies. Des chercheurs de l’unité des Interactions bactéries-cellules de l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’INRA et l’INSERM ont découvert que la bactérie Listeria produit une toxine – une bacteriocine – qui affecte ses interactions avec le microbiote intestinal et cible en particulier la bactérie commensale Prevotella copri mettant en lumière une potentielle stratégie thérapeutique dans certaines maladies, notamment inflammatoires associées à une augmentation de Prevotella copri.
Le microbiote intestinal joue un rôle important dans la protection contre les agents pathogènes. Comprendre les interactions entre l’hôte, le microbiote et les bactéries pathogènes est essentiel pour envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques basées sur la manipulation du microbiote. Pourtant, face à la grande complexité du microbiote et à la difficulté à cultiver de nombreuses espèces bactériennes commensales, certains mécanismes restent peu élucidés. Par ailleurs, les bactéries pathogènes ont de leur côté développé des mécanismes sophistiqués pour prendre le dessus sur les bactéries de l’intestin et infecter avec succès l’hôte.
Des chercheurs de l’unité des Interactions bactéries-cellules de l’Institut Pasteur se sont intéressés au rôle et à la fonction d’un gène de Listeria monocytogenes, une bactérie environnementale opportuniste responsable notamment la listériose. La listériose est une infection grave, d’origine alimentaire. Elle entraîne une septicémie ou une infection du système nerveux central. En France, la maladie reste rare (incidence de 5 à 6 cas par million d’habitants), mais mortelle dans 30 à 40% des cas survenant en dehors de la grossesse (lire notre fiche maladie). Ce gène, appelé lmo2776, non étudié jusqu’à présent, a suscité l’intérêt des chercheurs car il est présent dans la majorité des souches de L. monocytogenes et est absent chez L. innocua, une espèce du genre Listeria non pathogène, suggérant un rôle de ce gène dans le pouvoir pathogène de L. monocytogenes.
« De façon surprenante et inattendue, nous avons observé lors d’infections sur des modèles animaux, que la suppression de ce gène entraine une augmentation de la capacité de L. monocytogenes à coloniser l’intestin et les organes cibles tels que la rate et le foie, en parallèle à une diminution de l’épaisseur du mucus intestinal », explique Nathalie Rolhion, chercheuse au sein de l’unité des Interactions bactéries-cellules de l’Institut Pasteur et première auteure de l’étude. Cependant, la suppression de ce même gène n’a eu aucun effet chez des animaux axéniques, c’est-à-dire dépourvus de microbiote intestinal. « Cela suggère que l’effet du gène Lmo2776 est dépendant du microbiote », poursuit Nathalie Rolhion.
L’importance du microbiote dans les infections bactériennes
En cherchant à expliquer ces résultats, les chercheurs ont montré que le gène Lmo2776 code pour une bactériocine : il produit une protéine capable d’inhiber ou tuer d’autres bactéries. Cette bactériocine cible la bactérie Prevotella dans le microbiote animal et humain. Prevotella est généralement considérée comme commensale, c’est-à-dire présente naturellement sans provoquer d’impact sur la santé. Mais plusieurs études récentes ont montré une abondance accrue de Prevotella copri dans le microbiote intestinal de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, de syndrome métabolique, d’inflammation à bas niveau, suggérant que certaines souches de Prevotella pourraient favoriser et/ou aggraver certaines maladies inflammatoires.
La pré-colonisation d’animaux axéniques par P. copri avant l’infection par L. monocytogenes a permis de reproduire et mimer les différences observées entre l’infection par la bactérie sauvage et l’infection par la souche mutante chez des souris conventionnelles (qui possèdent un microbiote), alors que la précolonisation par toute autre bactérie commensale n’a aucun effet.
« Grâce à ces travaux, nous avons donc mis en lumière dans cette étude que P. copri pouvait moduler l’infection intestinale et que des agents pathogènes tels que Listeria peuvent éliminer sélectivement une bactérie commensale du microbiote pour éviter une inflammation excessive », conclut Pascale Cossart, responsable de l’unité des Interactions bactéries-cellules de l’Institut Pasteur et dernière auteure de l’étude. « Le corrollaire de cette étude est que Lmo2776 pourrait représenter une stratégie thérapeutique efficace dans les maladies associées à Prevotella copri, en diminuant l’abondance de P. copri dans l’intestin sans modifier les autres bactéries du microbiote ».
Ces travaux ont fait l’objet d’un dépôt de brevet le 8 février 2019. Cette demande de brevet EP2019/053170 s’intitule Anti-prevotella bacteriocin methods and compositions.
Source : Institut Pasteur