Des chercheurs de l’unité de Biologie cellulaire des trypanosomes (Institut Pasteur/Inserm), en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Glasgow, ont mis en évidence la présence d’une grande quantité de trypanosomes – les parasites responsables de la maladie du sommeil – dans la peau d’individus qui ne présentent pas de symptômes. Cette découverte devrait permettre de réorienter le dépistage de cette maladie, les parasites étant jusqu’à présent recherchés dans le sang, et d’envisager son élimination de l’Afrique de l’Ouest.
La maladie du sommeil touche au moins entre 4 000 et 8 000 personnes en Afrique subsaharienne, et peut être fatale lorsque les parasites atteignent le système nerveux central. « Au cours des derniers siècles, la maladie du sommeil a failli être éliminée d’Afrique de l’Ouest à deux reprises, expose Brice Rotureau, chef du groupe Transmission des Trypanosomes dans l’unité de Biologie cellulaire des trypanosomes (Institut Pasteur/Inserm). Mais à chaque fois l’épidémie repartait car de nombreux sujets infectés passaient vraisemblablement entre les mailles du filet lors des campagnes de dépistage et continuaient à transmettre le parasite Trypanosoma brucei gambiense à son vecteur, la mouche tsé-tsé. » En effet, il est estimé que dans au moins 30 % des cas, le test de dépistage sérologique est positif et pourtant aucun parasite vivant n’est décelé dans le sang. Mais si les parasites ne sont pas dans le sang, où se cachent-ils ? C’est la question que se sont posés des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Université de Glasgow, de l’Université de Kinshasa et de l’Institut de Recherche pour le Développement.
Dans cette étude, les chercheurs de l’Institut Pasteur ont notamment choisi de suivre l’évolution et la distribution des parasites Trypanosoma brucei en temps réel au sein de modèles murins. Des trypanosomes modifiés, émettant de la fluorescence et de la bioluminescence, ont alors été transmis à des souris par des mouches tsé-tsé, les vecteurs naturels de la maladie du sommeil. « Nous avons vu de très nombreux parasites dans la peau, en quantité bien plus importante que dans le sang, décrit Brice Rotureau. Et à l’échelle tissulaire, nous avons pu voir les trypanosomes, à la base du derme, nager dans la matrice en dehors du système vasculaire. Les parasites y étaient distribués de manière très homogène, comme s’ils optimisaient leurs chances d’être prélevés par une mouche tsé-tsé afin d’être transmis à un nouvel hôte. »
Les recherches des scientifiques ont ainsi permis de prouver que les trypanosomes se camouflaient dans la peau. Afin d’obtenir une preuve irréfutable de leur possible absorption par une mouche qui viendrait se nourrir sur une souris, les chercheurs ont ensuite exposé des souris infectées à des mouches tsé-tsé naïves. Ces souris avaient des parasites au niveau de la peau, mais pas dans le sang. Ces expériences ont révélé que lorsque les mouches s’alimentent au niveau de zones de peau sans parasite, elles n’étaient pas infectées. En revanche, les mouches qui se sont nourries sur des zones de peau riches en parasites ont elles, bien été infectées. Autrement dit, les parasites présents dans la peau peuvent être transmis et être à l’origine de nouveaux cas.
L’étude a également mis en évidence la présence de trypanosomes dans la peau de patients africains, et notamment d’individus qui avaient été diagnostiqués négatifs pour cette maladie. Ces patients étaient donc, en réalité, des porteurs sains, qui constituaient des réservoirs pour le parasite Trypanosoma brucei gambiense, et qui auraient dû être traités. L’ensemble de ces découvertes apportent ainsi un nouvel espoir pour la prise en charge de la maladie.
Les chercheurs travaillent désormais à un système de détection non invasif qui révélerait, avec rapidité, les trypanosomes cachés dans la peau et permettrait d’identifier les porteurs sains qui, jusqu’à présent, échappaient aux contrôles. « Maintenant que l’on sait où chercher, on peut penser de manière très sérieuse à éliminer la maladie du sommeil en Afrique de l’Ouest dans un futur assez proche. D’autant que la situation épidémiologique, avec un nombre de patients qui n’a jamais été aussi bas, est idéale pour intervenir, se réjouit Brice Rotureau. Nos travaux fourniront, nous l’espérons, un outil précieux, qui devrait permettre à l’OMS de déployer une campagne d’élimination, sur tous les fronts, intégrant le dépistage, puis le traitement des patients et des porteurs sains, parallèlement à des opérations de lutte anti-vectorielle. »
Source : Institut Pasteur