« Le rhume est la porte d’entrée de beaucoup de maladies respiratoires », Dr Gisèle Badoum/Ouédraogo

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La période de l’harmattan est le moment propice à la prolifération de germes et des maladies. Souvent considérées comme bénignes par les populations, ces maladies peuvent se révéler dangereuses au regard des complications qu’elles entraînent. Comment traverser cette période d’harmattan sans trop de maladies respiratoires. Dr Gisèle Badoum/Ouédraogo, maître de conférence agrégé en pneumologie, nous donne des pistes dans cette interview réalisée le 21 octobre 2017 au CHU-YO, dans le service de pneumologie.

 

Dites-nous docteur, pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en pneumologie ?

Quand j’étais stagiaire externe, j’avais dit que je n’allais pas faire la pneumologie. Pourtant, c’est un service que j’aimais bien. Comme tout le monde, j’avais un peu peur de ceux qui toussent et qui crachent. Et lorsque j’ai effectué mon stage, je me suis rendue compte que c’est une spécialité transversale, parce que la pneumologie est ouverte aux autres spécialités. On collabore avec les cardiologues, les gastroentérologues, les cancérologues et les internistes. Et c’est ce qui m’a plu dans la pneumologie. On fait beaucoup de santé publique. Comme j’aime la santé publique, voilà pourquoi j’ai choisi cette discipline.

Que risque-t-on, en termes de maladies, pendant cette période d’harmattan ?

La période d’harmattan s’étale du mois d’octobre à fin février, et parfois jusqu’en début avril. Elle se caractérise dans la journée par un vent sec et chaud. Dans la nuit, le vent devient plus froid. Et le risque est justement ces variations de température contre lesquelles les gens ne se protègent pas, parce qu’il y en a tellement. Pendant cette période, le soleil est assez fort. Ce qui caractérise cette période aussi, c’est la suspension de la poussière. Et qui dit suspension de poussière dit fines particules qui peuvent être le sable, de particules végétales comme le pollen, l’herbe, et tout ce qui est acarien c’est-à-dire les animaux, les plumes d’oiseau et toutes ces substances peuvent être allergisantes pour les voies aériennes  supérieures. Et on a tout ce qui est agents infectieux comme les bactéries, les virus, les champignons, les parasites. Il y a aussi les fumées des pots d’échappement.

Ces risques sont-ils les mêmes selon qu’on est enfant, adulte ou personne du troisième âge ?

 C’est comme dans toute maladie. Les enfants et les personnes du troisième sont les extrêmes de la vie. Ce sont les plus fragiles parce que la muqueuse respiratoire chez les enfants, n’est pas encore bien mature, chez les personnes du troisième âge, cette muqueuse est plus fragilisée parce qu’avec l’âge, le système immunitaire n’est plus à même de réagir. L’adulte d’âge mûr a des risques aussi, mais moins de risques parce que son système immunitaire est à même de se défendre. Il ne faut pas oublier que ces sujets ont aussi des facteurs. Il y a beaucoup de gens qui fument. Il y a des jeunes qui travaillent dans l’environnement, à l’air libre. On pourrait dire que tout le monde a des facteurs de risques. En fonction de l’environnement, cela peut être grave ou plus ou moins grave. Les risques sont partout. Il ne faut pas aussi oublier les allergies. Que l’on soit jeune ou que l’on soit plus âgé, quand on est en terrain allergique que nous, nous appelons terrain atopique, les risques sont là. On prendrait par exemple le cas d’un terrain atopique adulte d’âge mûr et un enfant qui n’est pas terrain atopique ; celui  qui a l’âge mûr est plus à risque de développer des maladies respiratoires parce qu’il est plus fragilisé. Et quelqu’un qui a des antécédents de maladies respiratoires est plus à risque. On ne peut pas dire que parce que c’est un enfant, il est plus à risque, comparé à un adulte. Sur le plan épidémiologique, au niveau des âges extrêmes, il y a plus de risques.

 Qu’en est-il des nourrissons ?

Le système immunitaire des bébés n’est pas encore mature. Les nourrissons, il faut les protéger parce que quand ils vont en collectivité, il est vrai qu’ici on n’a pas de système de crèches développées, mais il y a quand même des crèches. Quand ils vont en collectivité, ils sont plus fragilisés parce qu’il y a des infections bactériennes ainsi que des infections virales. Quand un enfant est enrhumé dans la collectivité, tous les autres enfants sont enrhumés.

Que dites-vous de ces femmes qui mettent leurs bébés au dos et qui circulent dans la poussière et dans la fumée des pots d’échappement ?

On est dans un pays où on n’est pas souvent informé des risques. Ces braves dames sont souvent obligées de sortir avec leurs enfants. Mais on peut  leur conseiller de les couvrir, quand elles les mettent au dos, pour qu’ils ne toussent pas et de prendre soin de désinfecter les narines avec du sérum physiologique, quand elles reviennent à la maison, parce que l’enfant a vraiment inhalé beaucoup de poussière. Il faut aussi bien hydrater l’enfant et lui mettre un petit peu de beurre de karité. Ce n’est pas recommandé dans d’autres contextes mais là, on est dans un contexte où il y a beaucoup d’agressions parce que le beurre de karité, lorsqu’on le met dans les fosses nasales, il y a un risque de perturber le fonctionnement  mucociliaire. Toutefois, il ne faut pas bourrer les narines de l’enfant avec du beurre de karité. Il faut donc en mettre légèrement sans en abuser.

Le beurre de karité est-il aussi conseillé aux adultes ?

On va contextualiser. On est dans un contexte d’agression avec beaucoup de poussière. Alors, les adultes qui en ressentent le besoin, qui ont  les narines très sèches et qui éprouvent le besoin de les hydrater, peuvent appliquer très légèrement le beurre de karité en cas de besoin.  Chez les enfants, ce n’est pas systématique. Pour un enfant qui reste à la maison et qui ne sort pas, il n’est pas nécessaire de lui mettre le beurre de karité dans les narines. Sinon, la première chose à faire, c’est la désinfection rhinopharyngée, c’est-à-dire laver les narines avec du sérum physiologique.

Où est-ce qu’on peut avoir ce sérum ?

Il faut l’acheter en pharmacie. Et son coût n’est pas à la portée de tout le monde. C’est pour cela que le beurre de  karité est venu comme une solution de remplacement.

Et pour ceux qui n’ont pas de sérum physiologique et qui ne veulent pas utiliser le beurre de karité ?

Il faut se protéger avec des masques. Il est vrai que l’efficacité n’est pas garantie à 100%, mais c’est déjà ça. Il y a aussi les masques que l’on vend dans les quincailleries, qui ont des filtres et qui recouvrent et les narines et la bouche, qui jouent aussi un rôle de protection.

Quelles précautions faut-il prendre pour se protéger des maladies liées à l’harmattan ?

Il est vrai que l’on n’a pas détaillé ces maladies, mais il y a des maladies des voies respiratoires hautes : le rhume (dans notre jargon on parle de rhinite), les pharyngites. C’est ce qu’on croise le plus couramment. Malheureusement, les gens font beaucoup d’automédication. Il y a aussi des maladies des voies respiratoires basses, à savoir les bronchites aiguës, qui sont les plus courantes et malheureusement mal traitées par les gens. Pour eux, c’est juste une petite toux et ils prennent un antibiotique et tout ce qui leur passe sous la main en se disant que ça va aller. Des fois, cela se complique en bronchite chronique ou même en pneumonie et peut même provoquer le parenchyme pulmonaire qui peut entraîner une hospitalisation. Il y a aussi les maladies allergisantes. C’est un sujet atopique qui a tendance à faire des allergies et son organisme ne supporte pas ces substances. Il y a aussi l’asthme dont la prévalence est relativement élevée dans le monde et au Burkina Faso. Nous avons fait une étude en milieu scolaire, qui montrait une prévalence de 7,3% . C’est assez élevé à tous les niveaux d’âge, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte et même chez les personnes âgées, parce que les gens pensent souvent que l’asthme ne se déclenche pas chez les personnes âgées. A tous les âges de la vie, on peut faire de l’asthme ainsi qu’à tous les niveaux socio-économiques. Ce sont les principales maladies qui peuvent affecter le système respiratoire.

En cette période d’harmattan, quelles précautions prendre pour ceux qui font l’asthme ?

Pour les patients qui se connaissent asthmatiques, la première précaution à prendre, c’est de suivre les rendez-vous que le médecin traitant leur a donné. Un asthmatique doit avoir un médecin traitant. C’est inadmissible qu’un asthmatique n’ait pas de médecin traitant. On ne fait pas de l’automédication. Et le médecin traitant pourra dire, en cas d’urgence, voilà le médicament de première urgence que vous devez prendre à la maison, avant de venir nous voir. Je recommande fortement à tous les patients asthmatiques, non seulement d’avoir un médecin traitant, mais aussi de se faire suivre régulièrement. Dans l’asthme, il y a un médicament « miracle » qui agit dans l’immédiat. C’est le bronchodilatateur. L’asthmatique doit l’avoir dans sa poche, dans son sac à main, dans son bureau, dans sa douche, en tout cas de façon permanent. C’est le médicament qui peut le sauver, avant d’aller voir le médecin.

Recevez-vous beaucoup de personnes en consultation en cette période ?

Dans le service, on en reçoit énormément. Si vous le constatez, nous sommes assez débordés. Surtout en cette période où les lits d’hospitalisation sont pleins. Pendant cette période, il y a l’asthme, la tuberculose, les pneumonies infectieuses, le cancer pulmonaire qui connaît une émergence actuellement.

Quelles sont les complications pour un rhume non soigné ou mal soigné ?

Le rhume, c’est la maladie que les gens trouvent la plus banale et souvent, les gens ont tendance à dire « que c’est un rhume seulement » alors que le rhume peut entraîner des infections. On l’appelle des rhinites, et ces rhinites peuvent se surinfecter et entraîner une infection des voies aériennes supérieures ou une infection des voies aériennes inférieures. Le patient peut se retrouver avec une sinusite, une colopathie, des otites chez les enfants. Il ne faut pas banaliser le rhume. C’est la porte d’entrée de beaucoup de maladies respiratoires. Lorsque l’asthmatique vient en consultation, la première question que nous lui posons c’est : « est-ce que vous avez fait un rhume ? », parce que c’est la porte d’entrée. Lorsque le patient vient avec une infection respiratoire basse, la première question que nous lui posons, c’est : « est-ce que vous avez fait un rhume ? ». Tout ce qui est virus, bactérie, profite de cette faiblesse des voies aériennes supérieures pour se diffuser au niveau des voies aériennes supérieures basses.

Quelles précautions prendre face aux maladies entraînées par l’harmattan ?

Nous sommes dans un environnement où il y a beaucoup de poussière, beaucoup de pollution. Donc, il faut se protéger. Dans la maison, il faut essayer d’avoir un milieu sain, en nettoyant bien la maison. Pour quelqu’un qui est sensible à la poussière, à l’extérieur, il faut porter un masque. Lorsqu’il y a des ventilateurs à la maison, il faut bien nettoyer les pales des ventilateurs pour éviter de brasser la poussière. Lorsqu’il s’agit de climatiseurs, il faut nettoyer régulièrement le filtre du climatiseur. Dans les véhicules, pour ceux qui ont des climatiseurs, il faut faire un nettoyage régulier. Je préconiserais donc la prévention. En ce qui concerne les enfants en bas âge, il faut éviter de les faire sortir quand ce n’est pas nécessaire, surtout en cette période.

Comment doit-on tenir la chambre de bébé ?

Tout dépendra du contexte socio-économique. Mais d’une manière générale, la chambre d’un bébé doit être aérée et ne doit pas être encombrée de substances qui peuvent être allergisantes. On aime beaucoup les peluches, mais les peluches ont des substances allergisantes. L’enfant tient son « doudou » contre lui, il respire. Dès que le bébé se réveille le matin, on le fait sortir, on nettoie bien la chambre, on ouvre les fenêtres, on aère et on referme immédiatement pour éviter que la poussière ne rentre.

Que faut-il savoir en plus ?

Les maladies respiratoires ont été longtemps négligées. Aujourd’hui, heureusement, on a quand même beaucoup de spécialistes dans le domaine et on a même une société burkinabè de pneumologie (SOBUP) dont l’un des objectifs est la prise en charge des maladies respiratoires. On invite fortement les populations à venir vers les spécialistes, à ne pas faire de l’automédication. En première intention, on se rend dans le centre de santé, mais il faut savoir se faire orienter vers le spécialiste pour que le patient n’arrive pas à notre niveau avec des dégâts irréversibles. J’invite la population, les médecins généralistes, les infirmiers à savoir référer à temps.

Quels conseils pour les populations ?

Il faut informer les populations pour qu’elles sachent qu’à tout moment, on peut aller en consultation. Il y a le premier niveau, à savoir les Centres de santé et de promotion sociale (CSPS). Lorsque ce centre n’est pas en mesure de prendre en charge la pathologie, on réfère au niveau secondaire. Lorsque le niveau secondaire n’est pas en mesure de prendre en charge la pathologie, on réfère le patient au CHU, le troisième niveau. Mais il ne faut pas venir au CHU pour une rhinite.

Qu’avez-vous à dire à ceux qui veulent embrasser cette spécialité ?

Quand on ne connaît pas la pneumologie, on a tendance à avoir un peu peur. Mais quand on est dedans, on s’y plaît parce qu’il y a beaucoup d’horizons. Ce n’est pas une discipline fermée. J’encourage les femmes à se lancer dans la pneumologie. J’ai été la première femme à me lancer dans la pneumologie et je ne le regrette pas. On peut concilier vie de famille et spécialisation en pneumologie.

Interview réalisée par Françoise DEMBELE

 

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