Le nouveau visage de la malnutrition

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Que voyez-vous lorsque vous vous représentez la malnutrition infantile ? Il y a 20 ans, cette représentation était saisissante: un enfant dangereusement dénutri qui n’avait pas suffisamment à manger.

 

Aujourd’hui, des millions d’enfants continuent de souffrir de malnutrition, mais le tableau évolue. Si le nombre d’enfants présentant un retard de croissance chute sur tous les continents à l’exception de l’Afrique, le surpoids et l’obésité augmentent sur chaque continent, y compris en Afrique, et ce, rapidement. À l’échelle mondiale, au moins la moitié des enfants de moins de 5 ans souffrent de faim insoupçonnée – une carence en nutriments essentiels qui passe souvent inaperçue jusqu’au moment où ses effets sont irréversibles.

De manière générale, un enfant sur trois ne grandit pas bien en raison de la malnutrition.

On assiste à la coexistence de ces trois formes de malnutrition (dénutrition, faim insoupçonnée et surpoids) dans de nombreux pays, y compris au sein d’un même foyer. Cela signifie qu’un pays peut être exposé au défi de traiter des niveaux élevés de retard de croissance, de carences en micronutriments et d’obésité ou que l’on peut trouver une mère en surpoids et un enfant présentant un retard de croissance au sein de la même famille. Ces tendances reflètent ce que l’on appelle le triple fardeau de la malnutrition, fardeau qui menace la survie, la croissance et le développement des enfants, des économies et des sociétés.

Et ce fardeau ne fait que prendre de l’ampleur. Il est frappant de constater qu’aucun pays n’a fait baisser les niveaux de surpoids et d’obésité au cours des 20 dernières années.

Cette situation nous amène à nous poser la question suivante: pourquoi tant d’enfants mangent-ils si peu les aliments dont ils ont besoin, tandis qu’un nombre croissant d’entre eux mangent en excès ceux dont ils n’ont pas besoin ?

La nutrition en transition

 

Les sociétés ont évolué au cours des dernières décennies. Avec la mondialisation des marchés commerciaux, nous sommes plus connectés que jamais. De plus en plus de personnes quittent les campagnes pour s’installer dans des villes densément peuplées. De plus en plus de femmes s’épanouissent dans la vie active tout en continuant d’élever leurs enfants. Et les changements climatiques exercent une pression croissante sur la manière dont nous vivons et dont nous utilisons les ressources naturelles.

Notre tout nouveau monde a eu une profonde incidence sur la manière dont la nourriture est produite, sur les aliments auxquels nous avons accès et, surtout, sur ce que nous mangeons.

La mondialisation a modifié nos habitudes alimentaires. Elle a rapidement transformé les systèmes qui nous apportent la nourriture du champ à l’assiette, révolutionnant tout, de la manière dont sont récoltées les denrées alimentaires à leur présentation dans les supermarchés. Les communautés du monde entier ont désormais accès à des quantités et à des variétés plus importantes d’aliments. Cependant, la mondialisation et le commerce ont donné lieu à un marché de la malbouffe et de la restauration rapide en plein essor – ainsi qu’à des pratiques de marketing intensives destinées aux enfants.

Alors que les supermarchés, les commerces de proximité et les chaînes de restauration rapide deviennent omniprésents, les familles et les communautés délaissent les régimes alimentaires traditionnels, souvent plus sains, au profit de régimes alimentaires modernes souvent composés d’une quantité d’aliments transformés riches en graisses saturées, en sucres et en sel, et faibles en nutriments essentiels et en fibres.

Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville. L’urbanisation a provoqué une transformation rapide de l’alimentation et des styles de vie, qui passe par la présence accrue d’aliments ultra-transformés et une baisse de l’activité physique.

Résultat : les citadins enregistrent des niveaux de surpoids et d’obésité plus élevés, ainsi que des taux plus importants de diabètes, d’hypertension et de maladies cardiovasculaires. D’ici à 2050, 70 % des adolescents dans le monde vivront en ville, ce qui les exposera davantage au marketing des aliments préjudiciables à la santé et les rendra plus vulnérables que jamais aux maladies liées à l’alimentation.

De plus en plus de femmes rejoignent le marché du travail, formant près de 40 % de la main-d’œuvre mondiale dans le secteur formel. Pourtant, presque partout dans le monde, les femmes continuent d’assumer la majeure partie des responsabilités relatives à l’alimentation et à la garde des enfants. Elles reçoivent souvent peu de soutien de la part de leur famille, de leurs employeurs ou de la société au sens large. En conséquence, beaucoup trop de mères font face à un choix impossible : bien nourrir leurs enfants ou gagner un revenu stable.

Le nombre d’événements climatiques extrêmes, tels que les inondations, les tempêtes, les sécheresses et les pics de chaleur extrême, a doublé dans le monde depuis les années 1990 et les enfants sont affectés de manière disproportionnée. Ces derniers sont plus susceptibles de contracter des maladies transmises par l’eau, ce qui les expose à un risque accru de malnutrition et de décès.

Les chocs climatiques perturbent la production alimentaire et l’accès à la nourriture des familles vivant en région rurale, sachant qu’à elle seule, la sécheresse a provoqué 80 % des dommages et des pertes dans le secteur agricole. Dans les régions où la population est tributaire d’une seule culture comme le maïs, un choc touchant la production alimentaire a le pouvoir d’anéantir l’intégralité de l’approvisionnement alimentaire.

Les perturbations induites par les chocs climatiques forcent de plus en plus les familles à abandonner la campagne pour s’installer en ville, où les aliments transformés et les modes de vie sédentaires sont monnaie courante. Par ailleurs, les systèmes alimentaires étant responsables de près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, l’essor de la production alimentaire industrielle ne fait qu’exacerber le réchauffement climatique.

Les environnements alimentaires et le marketing

 

Si les enfants ne consomment pas les bons aliments, pourquoi les parents, ou les enfants eux-mêmes, ne peuvent-ils pas simplement choisir de préparer et de manger de la nourriture plus saine ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre les environnements alimentaires.

Lorsque nous regardons de plus près les environnements alimentaires, en d’autres termes l’ensemble des facteurs qui influencent les choix alimentaires des familles, entre les aliments disponibles dans leur région et la quantité d’argent dont elles disposent en passant par les aliments pratiques ou familiers, nous voyons que les régimes alimentaires sont loin d’être une simple question de préférences personnelles.

En général, les familles qui vivent en ville achètent leur nourriture, si bien que leur revenu détermine souvent le contenu de leur alimentation. Elles sont plus susceptibles de faire leurs courses au supermarché, où la plupart des aliments sont emballés ou ultra-transformés. Pour ce qui est des populations pauvres vivant en milieu urbain, l’accès à la nourriture saine est encore plus rare et beaucoup n’ont pas d’autre choix que de consommer de la cuisine de rue, saturée de graisses et de sel.

Certaines familles des régions urbaines vivent dans ce que l’on appelle des « déserts alimentaires », à savoir des quartiers dans lesquels il est impossible de trouver des produits frais et des marchés alimentaires proposant des produits sains. D’autres vivent dans des « bourbiers alimentaires », où les offres néfastes pour la santé telles que la restauration rapide et les chaînes de restaurants surpassent, en nombre comme en prix, les options saines.

Le temps et l’aspect pratique pèsent également dans la balance. Il peut être difficile pour les parents seuls de travailler et de préparer en même temps des repas sains. Les femmes vivant en région rurale, en particulier, sont souvent contraintes de travailler de manière non rémunérée dans les champs tout en s’occupant de leurs enfants.

Les principales figures influençant l’alimentation des enfants évoluent au fil du temps. Les parents et les personnes qui ont la charge d’enfants, qui exercent la plus grande influence durant les premières années, passent ensuite le relais au personnel des crèches et aux prestataires de soins plus tard durant la petite enfance. Lorsque les enfants entrent à l’école, cette influence passe ensuite entre les mains de leurs pairs et de leurs amis.

Le marketing alimentaire constitue un aspect important de l’environnement alimentaire et exerce une influence majeure sur l’alimentation des enfants. Les publicités, les emballages alimentaires et les campagnes numériques ciblant les enfants stimulent la demande d’aliments mauvais pour la santé, de produits de restauration rapide et de boissons sucrées. L’essor du marketing alimentaire est directement lié à l’augmentation de l’obésité de l’enfant.

Chaque jour, les enfants sont exposés à une quantité considérable de contenus marketing les incitant à consommer des aliments néfastes pour leur santé. Une étude récente menée dans 22 pays a révélé qu’à chaque fois qu’une publicité promouvait un aliment sain, quatre autres faisaient la promotion d’aliments préjudiciables à la santé. Cette disparité est encore plus importante dans les pays à revenu élevé comme les États-Unis et le Royaume-Uni.

Les pays à revenu plus faible enregistrent également une augmentation soutenue de la consommation d’aliments néfastes pour la santé. Entre 2011 et 2016, les ventes de la restauration rapide ont crû de 113 % en Inde, de 83 % au Viet Nam et de 64 % en Égypte.

Par rapport au marketing télévisuel et aux supports de marketing imprimés, le marketing numérique présente un défi unique. À l’échelle mondiale, 30 % des internautes seraient des enfants. La multiplication des smartphones, auxquels les enfants peuvent accéder quasiment en permanence, offre aux distributeurs de produits alimentaires un canal publicitaire qui leur permet de cibler directement les jeunes.

En l’absence d’une réglementation efficace, les enfants se retrouvent dans l’impossibilité d’échapper à ce flux constant de marketing alimentaire, que ce soit à la télévision, sur les supports imprimés ou sur les canaux numériques. La législation nationale semble constituer la mesure la plus efficace pour faire baisser les ventes de produits alimentaires préjudiciables à la santé et l’Organisation mondiale de la Santé exhorte les gouvernements à s’engager à mettre fin à l’obésité infantile en utilisant des approches éprouvées visant à promouvoir une meilleure nutrition et à réglementer la commercialisation des aliments mauvais pour la santé aux enfants.

 La pauvreté et la malnutrition

Dans toutes les régions du monde, des parcelles rurales aux agglomérations urbaines, la plupart des formes de malnutrition sont ancrées dans la pauvreté et les inégalités.

Les enfants qui vivent dans l’extrême pauvreté dans des pays à faible revenu, en particulier dans des régions reculées, sont plus susceptibles d’être sous-alimentés et de souffrir de malnutrition. Ils ont moins de chances d’avoir accès à une eau salubre, à des services d’assainissement et à des soins de santé. En raison de leur précarité, ils sont plus enclins à abandonner l’école, à tomber malades et, à terme, à s’enfermer dans la pauvreté.

La malnutrition touche également de manière disproportionnée les enfants les plus pauvres et les plus défavorisés dans les pays à revenu élevé. Aux États-Unis, l’obésité infantile est plus répandue au sein des familles qui ont des niveaux moins élevés d’éducation et de revenu. En Angleterre, les taux de surpoids et d’obésité infantiles sont plus de deux fois plus élevés dans les régions les plus pauvres. Ces régions comptent aussi cinq fois plus d’enseignes de restauration rapide que les régions les plus aisées. Et souvent, les aliments sains coûtent plus cher que les produits néfastes pour la santé.

Les cycles de la pauvreté et de la malnutrition touchent des générations entières.

Une mère en insuffisance pondérale ou anémique est plus susceptible d’avoir un enfant présentant un retard de croissance. Cet enfant a moins de chances de grandir en bonne santé, de réussir à l’école et d’avoir des perspectives professionnelles et économiques. Résultat : il risque davantage de se maintenir dans la pauvreté, de souffrir de malnutrition et d’avoir à son tour des enfants présentant un retard de croissance.

Dans la même logique, les enfants dont la mère est en surcharge pondérale ont aussi des difficultés à grandir en bonne santé. Des études du monde entier font état d’une association entre le surpoids maternel et le surpoids chez les enfants de la génération suivante. Le surpoids chez la mère aurait également une incidence sur les fonctions physiques et psychosociales de l’enfant à la fin de sa vie d’adulte. Aujourd’hui, le surpoids maternel est le facteur de risque le plus courant de la grossesse.

Une bonne nutrition a toutefois le pouvoir de briser ce cycle vicieux de la pauvreté et de la malnutrition, et ce, même en l’espace d’une seule génération. Avec des soins et une nutrition appropriés, les enfants dont les parents souffrent de malnutrition peuvent malgré tout connaître une croissance optimale. Cependant, pour que cela soit possible, les femmes et les filles, et particulièrement les mères adolescentes, ont besoin d’être soutenues et de recevoir des conseils en matière de nutrition avant leur grossesse, non seulement pour leur propre bien-être, mais aussi pour donner à leurs enfants la nutrition dont ils ont besoin au cours des 1 000 premiers jours essentiels de leur vie.

Le coût de la malnutrition

 

La malnutrition peut avoir des effets irréversibles sur la croissance, le développement et le bien-être de l’enfant. Un retard de croissance au cours des 1 000 premiers jours de vie est associé à de moins bons résultats scolaires, non seulement parce que la malnutrition entrave le développement cérébral, mais aussi parce que les enfants souffrant de malnutrition sont plus susceptibles de tomber malades et de manquer l’école. La faim insoupçonnée peut provoquer la cécité (en raison d’une carence en vitamine A), entraver l’apprentissage (en raison d’une carence en iode) et augmenter les risques de décès maternel lors de l’accouchement (en raison d’une carence en fer). Le surpoids et l’obésité peuvent provoquer des maladies graves, comme un diabète de type 2 et des maladies cardiovasculaires.

Or, cette perturbation de leur développement physique et cognitif poursuit les enfants jusque dans leur vie adulte, compromettant leurs perspectives économiques et mettant en péril leur avenir.

À l’échelle collective, la perte de potentiel et de productivité induite par cette situation a des répercussions désastreuses sur le développement socioéconomique plus large des sociétés et des nations. Elle sape la capacité des pays à développer un « capital humain », lequel se reflète dans les niveaux globaux d’éducation, de formation, de compétences et de santé au sein d’une population. Or, cette perte est considérable.

Les pertes moyennes de revenus liées au retard de croissance et calculées sur toute la durée de vie sont de 1 400 dollars É.-U. par enfant, mais peuvent dépasser 30 000 dollars É.-U. dans les pays les plus riches. Les pertes économiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire imputables aux maladies liées au surpoids et à l’obésité, dont les maladies cardiaques, les cancers, le diabète et les maladies respiratoires chroniques représenteront plus de 7 billions de dollars É.-U. pour la période 2011-2025.

De manière cumulée, l’incidence des différentes formes de malnutrition sur l’économie mondiale peut atteindre 3,5 billions de dollars É.-U. par an, soit 500 dollars É.-U. par personne.

À l’inverse, de nombreux exemples montrent l’incidence positive d’une bonne nutrition sur les résultats scolaires des enfants. De la Chine à la Tanzanie, en passant par le Guatemala et les États-Unis, une multitude d’études ont montré qu’une nutrition de meilleure qualité améliorait les taux de scolarisation, les taux de fréquentation scolaire et les résultats des élèves dans des domaines tels que les mathématiques et la lecture.

Il existe de solides arguments en faveur de la nécessité d’investir dans la lutte contre la malnutrition. Le coût supplémentaire par enfant et par an pour atteindre les objectifs mondiaux relatifs au retard de croissance chez les enfants âgés de moins de 5 ans ne serait que de 8,50 dollars É.-U.

Il s’agit d’un investissement moindre par rapport aux dépenses publicitaires annuelles des multinationales agroalimentaires et des chaînes de restauration, qui entraîne néanmoins un retour sur investissement impressionnant. Chaque dollar investi dans la lutte contre le retard de croissance génère des retombées économiques équivalant à près de 18 dollars É.-U. dans les pays les plus durement touchés.

La création de systèmes alimentaires adaptés aux enfants

 

Une bonne alimentation et une bonne nutrition ne sont pas seulement essentielles à la santé des enfants et au développement de la société au sens large, elles constituent également un droit fondamental de l’enfant.

En tant que communautés, parents, gouvernements, entreprises agroalimentaires, distributeurs et citoyens du monde, nous avons tous la responsabilité collective de placer les besoins des enfants au cœur de nos systèmes alimentaires.

Source : UNICEF

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