Dans les pays à ressources limitées et contrairement aux pays riches, l’allaitement maternel est recommandé pour les enfants nés de mères séropositives au VIH. Cependant, l’allaitement maternel nécessite de l’énergie. Les femmes qui allaitent sans trop augmenter leur apport calorique à travers une consommation alimentaire plus importante ont tendance à perdre du poids. Fort heureusement c’est habituellement les kilogrammes de graisses accumulés lors de la grossesse qui fondent. En effet, pendant la grossesse et l’allaitement, le corps de la femme est le terrain d’importants échanges d’énergies ; normalement, cela se manifeste par une augmentation de poids pendant la grossesse, suivie d’un retour au poids d’avant la grossesse pendant l’allaitement. Une personne avec une infection à VIH asymptomatique a besoin de 10% plus d’énergie pour conserver son poids ; ce besoin énergétique augmente à 20 – 30% chez les personnes qui présentent déjà des signes de SIDA (1, 2). Par ailleurs, une perte de poids de 10% et plus était un critère de diagnostic clinique de la maladie SIDA dans les situations où il n’y avait pas de laboratoire. Le poids se présente donc comme un miroir de la progression de l’infection à VIH et de la santé d’un individu en général. Dans les lignes qui suivent nous nous proposons d’exposer des résultats d’études démontrant que l’allaitement maternel n’altère pas outre mesure la santé de la mère infectée par le VIH.
Un important dilemme pendant les 20 dernières années était de choisir entre l’allaitement maternel exclusif et l’allaitement artificiel qui était considéré comme la meilleure option d’un point de vue nutritionnel, permettant aussi de prévenir l’infection à VIH du nourrisson et l’aggravation de celle de la mère. Finalement le consensus a été établi que dans les pays pauvres, l’allaitement maternel était le meilleur choix pour la survie, même des enfants nés de mères séropositives. Après 2010, la disponibilité des antirétroviraux a définitivement consacré ce consensus en permettant un plus grand contrôle de la transmission mère enfant du VIH. Le souci était désormais aussi l’évolution de l’infection de la mère dans un contexte d’allaitement maternel considéré comme stressant.
Malgré quelques résultats contradictoires des études sur le sujet, il a été assez clair que l’allaitement maternel n’accélère pas l’évolution de l’infection à VIH de la mère vers la maladie SIDA. En considérant le poids de la mère (l’indice de masse corporelle plus exactement: poids sur taille au carré) et le taux d’hémoglobine (évaluant la quantité de sang chez un individu) comme proxy ou miroir de l’état de santé de la mère, une récente étude publiée en 2017(3) a pu démontrer que l’allaitement maternel quelle que soit sa modalité (exclusive ou non) et sa durée, ne détériorait pas la santé de la mère séropositive. Dans cette étude il faut noter cependant que les participantes avaient toutes un taux de CD4 (type de globules blancs dont le nombre élevé dans le sang de la personne séropositive est un indicateur de sa bonne santé) supérieur à 350 cellules par microlitre, attestant ainsi d’un état d’infection asymptomatique. D’autres études ont considéré d’autres paramètres comme proxy de l’état de santé de la mère et ont abouti à la même conclusion. Ainsi, l’allaitement maternel n’augmentait pas la mortalité maternelle, ni ne diminuait le taux de CD4, ni n’augmentait la charge virale de la mère séropositive (1, 4-7).
L’allaitement maternel reste donc recommandé aux mères séropositives vivant dans des pays à ressources limitées où le contexte social, le statut économique, la disponibilité des substituts du lait maternel, les conditions de sécurité et d’hygiène ne sont pas en faveur de l’allaitement artificiel. Ces mères infectées par le VIH ne devraient pas s’inquiéter outre-mesure d’un quelconque effet négatif de l’effort d’allaitement sur leur propre infection à VIH et sur leur santé de façon générale. Dans sa pratique, l’OMS recommande l’allaitement maternel exclusif démarrant dans l’heure qui suit la naissance jusqu’à six mois; à partir de six mois, la mère doit ajouter des compléments alimentaires pour satisfaire les besoins accrus du nourrissons et l’allaitement peut se poursuivre jusqu’à deux ans et au-délà. De plus, plusieurs stratégies thérapeutiques à base d’antirétroviraux ont également fait la preuve scientifique de leur efficacité à empêcher la transmission de la mère à l’enfant du VIH durant l’allaitement maternel.
En somme, en dehors des rares cas où l’allaitement maternel n’est pas autorisé comme lorsque la mère est infectée par le VIH dans un pays riche où les conditions AFASS sont réunies, l’allaitement maternel est fortement recommandé aux mères infectées par le VIH. Ainsi leurs enfants pourront pleinement jouir des bienfaits du lait maternel.
Eric Nagaonlé SOME, Médecin épidémiologiste 10 BP 250 Ouagadougou 10
Tel: 78 84 95 74 Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS/CNRST)
- Chetty T, Carter RJ, Bland RM, Newell ML. HIV status, breastfeeding modality at 5 months and postpartum maternal weight changes over 24 months in rural South Africa. Tropical medicine & international health : TM & IH. 2014 Jul;19(7):852-62. PubMed PMID: 24720779.
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- Somé E, Engebretsen I, Nagot N, Meda N, Vallo R, Kankasa C. Changes in body mass index and hemoglobin concentration in breastfeeding women living with HIV with a CD4 count over 350: Results from 4 African countries (The ANRS 12174 trial). PloS one. 2017;12(5).
- Cames C, Cournil A, de Vincenzi I, Gaillard P, Meda N, Luchters S, et al. Postpartum weight change among HIV-infected mothers by antiretroviral prophylaxis and infant feeding modality in a research setting. 2014 Jan 2;28(1):85-94. PubMed PMID: 24413262.
- Murnane PM, Arpadi SM, Sinkala M, Kankasa C, Mwiya M, Kasonde P, et al. Lactationassociated postpartum weight changes among HIV-infected women in Zambia. International journal of epidemiology. 2010 Oct;39(5):1299-310. PubMed PMID: 20484334. Pubmed Central PMCID: 2972438.
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One commentOn « L’allaitement maternel est recommandé aux mères séropositives », selon Dr Eric Somé
Félicitations au Docteur SOME pour ces resultats qui vont soulager plus d’une famille dans les pays pauvres comme le Burkina Faso.