Ils peuvent être source de mésentente, ou même de divorce dans certains couples mais, aucun des partenaires n’a le courage d’en parler parce que le sujet est tabou et peut être embarrassant. Et pourtant, il faut en parler pour trouver des solutions. Mais de quoi s’agit-il en réalité ? Des troubles sexuels féminins. Avec Pr Françoise Millogo, gynécologue obstétricienne, enseignante chercheur à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo, chef de service de gynécologie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), nous abordons sans-façon les troubles sexuels féminins. Lisez plutôt !
Dites-nous Pr, les femmes ont-elles des troubles sexuels comme les hommes ?
Tout à fait, les femmes peuvent effectivement présenter des troubles sexuels tout comme les hommes.
Alors qu’est-ce qu’un trouble sexuel féminin ?
Les troubles sexuels féminins peuvent se définir comme un dysfonctionnement ou des blocages qui altèrent soit le désir sexuel soit le plaisir sexuel chez la femme.
Quelles sont les causes de ces troubles ?
Les causes sont multiples. Mais les causes les plus fréquentes sont les facteurs psychologiques. Il peut s’agir de l’histoire des parents, une histoire douloureuse tel un divorce. Il peut s’agir d’une éducation sexuelle désastreuse, de préjugés qui font que la personne a une aversion de tout ce qui touche au sexe parce qu’elle perçoit le sexe comme étant associé au péché, ou comme un tabou. Il peut s’agir également d’expériences sexuelles dévastatrices comme un viol, un inceste ou des grossesses non désirées qui ont abouti à des avortements clandestins. Il peut s’agir d’une peur de l’acte sexuel, d’une hostilité envers le partenaire, d’une aversion de la sexualité normale, d’un adultère, d’un choc affectif, d’un décès, d’un stress, d’une fatigue, de soucis professionnels ou de la routine dans le couple. En dehors des facteurs psychologiques, il y a aussi ceux liés au partenaire sexuel. Si le partenaire souffre d’une impuissance sexuelle ou d’une éjaculation précoce, cela aura pour conséquence l’insatisfaction sexuelle du partenaire de sexe féminin. Il peut s’agir de conditions sociales défavorables : un manque d’intimité, une cohabitation déplaisante, des conflits conjugaux ou l’infidélité du conjoint. Il y a aussi les contraceptifs, notamment les pilules qui peuvent aussi diminuer le désir sexuel. Il y a également la stérilité parce que certaines femmes qui vivent une situation de stérilité, se sentent inutiles. Et de façon inconsciente, elles trouvent que les rapports sexuels sont futiles. Les femmes qui ont subi une hystérectomie, c’est-à-dire une ablation chirurgicale de l’utérus, peuvent avoir des troubles sexuels parce que quand on enlève l’utérus, on enlève aussi une partie du vagin. Alors, lorsqu’on enlève une importante portion de vagin, cela aura pour conséquence un vagin peu profond et cela va jouer après sur la qualité des rapports sexuels. Une autre cause des troubles sexuels, c’est la ménopause parce que pendant cette période, le désir sexuel baisse à cause de la diminution de la sécrétion de certaines hormones. Aussi les troubles de l’humeur fréquents au cours de la ménopause, ne sont pas favorables pour une vie sexuelle réussie. En dehors de la ménopause, il y a les infections génitales qui justifient une grande proportion de troubles sexuels féminins. Les séquelles d’excision peuvent également occasionner des rétrécissements des orifices vaginaux et vulvaires, rendant les rapports sexuels difficiles et douloureux. Lors des accouchements, des déchirures qui ont été mal réparées, vont ensuite jouer sur l’acte sexuel. Aussi, les femmes qui ont subi un traitement pour cancer, notamment des irradiations, peuvent avoir des séquelles. Il peut s’agir de névralgies (des douleurs sur le trajet d’un nerf), notamment du nerf qui irrigue les parties intimes de la femme que l’on appelle le nerf honteux interne. Il y a aussi les femmes qui ont un utérus retroversé, dont le fond bascule en arrière. Cela fait que lors des rapports sexuels, le pénis bute sur le fond utérin au travers du vagin et cela peut être douloureux. Ces femmes sont nées avec. Mais souvent, plus elles prennent de grossesses et elles accouchent, cet utérus va changer de position et les douleurs vont aller en s’amenuisant. Il peut s’agir aussi des femmes qui ont des fibromes utérins parce que les rapports peuvent être très douloureux quand l’utérus est porteur de fibromes utérins. Et il y a une maladie qui entraîne aussi des douleurs, c’est l’endométriose, c’est-à-dire que l’intérieur de la cavité de l’utérus de la femme est tapissé d’une membrane que l’on appelle un endomètre. Pour des causes multiples, cet endomètre qui ne se trouve que normalement à l’intérieur de l’utérus, va se retrouver un peu partout ; sur les trompes, les ovaires, le nombril et cela entraîne beaucoup de douleur et une stérilité. Et exceptionnellement, il y a des femmes qui portent des stérilets qui peuvent être douloureux.
Et quels sont les troubles sexuels que l’on rencontre chez la femme ?
Il y a cinq principaux troubles sexuels féminins. La première entité est la frigidité qui est une baisse du plaisir sexuel. La deuxième entité est l’anorgasmie. La femme n’arrive pas à atteindre l’orgasme qui est le summum du plaisir sexuel, que d’aucuns appelleraient « atteindre le septième ciel ». La troisième entité est le vaginisme. Le vaginisme est à l’intromission du pénis, ce que le moucheron est au clignotement de l’œil. Ce sont des femmes qui, à chaque fois que le partenaire approche le pénis, ont une contraction involontaire des muscles du périnée et du vagin, qui empêche toute pénétration. La quatrième entité est la dyspareunie qui se manifeste par des douleurs lors des rapports sexuels. Enfin, la cinquième entité est l’absence ou la baisse de la libido qui est une absence ou une baisse du désir sexuel.
Peut-on être frigide à vie ?
Tout dépend de la cause. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il va sans dire que si la cause n’est pas retrouvée et traitée, la frigidité va persister. Mais il y a des femmes qui peuvent être frigides à une période de la vie et pas à une autre. Et il y a des femmes qui sont frigides en fonction du partenaire sexuel.
Peut-on surmonter ces troubles par une pratique fréquente de l’acte sexuel ?
Pour surmonter ces troubles, il faut apprendre à connaître son corps et apprendre à connaître les zones érogènes de son partenaire. Ces zones érogènes sont multiples et diffèrent d’une personne à une autre : les bouts des oreilles, les seins, une région du vagin que l’on appelle le point G, la plante des pieds, la paume des mains, etc. Il faut également combattre le stress parce quand on est stressé, on est en panne sur tous les plans. Pour surmonter les troubles sexuels, il faut aussi travailler à établir un climat serein dans le couple. Il y a une différence fondamentale entre l’homme et la femme. L’acte sexuel chez la femme se prépare depuis l’aube. Ce n’est pas uniquement dans le lit le soir, parce que beaucoup de paramètres entrent en jeu. Alors que j’ai l’impression que chez les hommes, cela marche au quart de tour. Il est également important d’éviter la routine dans le couple, car cela tue le plaisir et le désir sexuels. Si malgré tout cela vous n’arrivez pas à surmonter les troubles sexuels, vous pouvez vous faire aider par des sexothérapeutes.
Quelles sont les conséquences des troubles sexuels féminins ?
C’est une instabilité relationnelle, le divorce, la dépression et même le suicide.
Recevez-vous des patientes qui viennent consulter pour troubles sexuels ?
Très peu de patientes consultent pour ce motif, parce que j’ai l’impression que pour nos femmes au Burkina Faso, c’est un sujet tabou. Les hommes viennent quelquefois pour des pannes sexuelles et même quand ils viennent, ils n’aiment pas avoir affaire aux femmes. Ils cherchent des gynécologues hommes. Il y a encore beaucoup de pesanteurs socio-culturelles qui, font que la femme ne va pas spontanément consulter pour des troubles sexuels.
Mais quand elles viennent en consultation, comment est-ce qu’elles abordent le sujet ?
Elles n’abordent pas directement le sujet. Elles peuvent prétexter qu’elles viennent pour des douleurs pelviennes ou un autre motif. C’est le médecin qui, en menant bien un interrogatoire bien conduit et en établissant un climat de confiance, peut mettre le doigt sur le problème, sur le non-dit.
Un gynécologue n’est pas forcément un sexologue. Ne pensez-vous pas qu’il faut aussi penser à former des sexologues ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il s’agit plutôt de sexothérapeutes. Ils peuvent ou non être du domaine médical. Le besoin étant réel, c’est au ministère de la Santé d’en tenir compte dans la planification des ressources humaines à former. Dans nos coutumes, le sexe était surtout rapporté à la procréation. C’était la principale fonction. Mais de plus en plus, il y a le désir et le plaisir sexuels qui sont des paramètres qui entrent en ligne de compte.
Quelle est l’ampleur des troubles sexuels féminins au Burkina Faso ?
Je ne pourrai pas vous donner une fréquence au Burkina Faso, du fait que les femmes qui en souffrent ne consultent pas. Donc, les chiffres seront sous-estimés. Mais ailleurs, environ une femme sur trois souffre de troubles sexuels.
Qu’avez-vous à dire aux femmes qui souffrent de troubles sexuels et qui n’osent pas en parler?
Je dirai à ces femmes de cesser de subir l’acte sexuel parce que de nombreuses femmes subissent l’acte sexuel parce qu’elles n’ont pas le choix. Je dirai aux hommes de prendre conscience que le désir et le plaisir sexuels doivent être consentis et partagés.
Comme les femmes ne vont pas à l’hôpital en consultation lorsqu’elles ont des problèmes sexuels, ne faut-il peut-être pas créer des centres dans les quartiers où les femmes pourront se rendre discrètement pour parler de leurs problèmes ?
C’est une bonne idée parce qu’en matière de sensibilisation, il faut se rapprocher de la population. Il ne faut pas attendre que la population vienne vers vous. Les troubles sexuels féminins constituent cependant un sujet délicat et je pense qu’il faudra impliquer les hommes et les leaders coutumiers et religieux parce que quand vous allez ouvrir ce type de centres d’écoute et de prise en charge, les hommes seront les premiers à empêcher leurs femmes d’y aller. Lorsque l’on va créer ces centres où on va apprendre à la femme qu’elle a droit au désir et au plaisir sexuel, si on ne tient pas compte des facteurs socio-culturels, beaucoup de femmes vont « retrouver leurs bagages dehors ». Alors que ce n’est pas le but visé.
A quel stade les femmes peuvent-elles être exposées aux troubles sexuels ?
Toutes les femmes qui sont à risque des facteurs psychologiques sus-cités sont des femmes prédisposées à des troubles sexuels et la période la plus délicate est celle de la ménopause, entre 45 et 55 ans, et celle de l’après ménopause. Les femmes ont un petit désavantage par rapport aux hommes. Les hommes fabriquent des spermatozoïdes en continu tandis que les femmes naissent avec un stock d’ovules déterminés dans les ovaires. Quand ce stock s’épuise, elles ne fabriquent plus d’hormones. Et quand la femme ne fabrique plus l’hormone principale qui est l’œstrogène, il y a une sécheresse vaginale ; et cela peut rendre les rapports sexuels très douloureux. On peut y remédier en prescrivant des hormones soit par voie locale soit par voie orale. A la ménopause, beaucoup de troubles s’installent, dus au déséquilibre hormonal. C’est une période très délicate pour la femme et il faut que son partenaire puisse la comprendre et l’aider. Mais souvent, les hommes, au lieu de comprendre et d’aider leur conjointe, trouvent la solution de facilité qui est d’aller chercher une femme plus jeune pour assurer leurs besoins sexuels.
Alors, pour un jeune homme, quelle est la conduite à tenir quand la femme a un trouble sexuel ?
La conduite à tenir c’est de communiquer dans le couple. L’homme et la femme doivent s’asseoir pour communiquer. Peut-être que c’est l’homme qui n’a pas découvert les zones d’excitation sur le corps de sa femme ou vice-versa. Les troubles sexuels peuvent subvenir à cause de rancœurs dans le couple. Tout simplement, le monsieur a fait quelque chose que la femme a sur le cœur. Et la femme accepte l’acte sexuel parce qu’elle n’a pas le choix. Si à deux, ils n’arrivent pas à résoudre le problème, ils peuvent alors faire appel à une tierce personne, un sexothérapeute notamment, qui va s’entretenir avec chaque partenaire et ensuite avec le couple. De prime abord, la communication est le chemin qui conduit à la résolution des troubles sexuels.
Peut-on dire que les troubles sexuels féminins sont des maladies ?
On peut le dire si l’on s’en tient à la définition de la santé qui est un état de bien-être physique, mental et psychique. Donc, si le psychique est atteint, les troubles sexuels peuvent être considérés comme des maladies.
Peut-on soigner les troubles sexuels féminins ?
On peut les soigner, mais tout dépend de la cause. Mais il faut dire que si ce sont des causes psychologiques, cela prendra beaucoup plus de temps parce qu’il faut faire appel à des psychologues et souvent, le traitement est décevant. Mais il faut quand même tenter le tout pour le tout.
Selon vous, quelle est la place que doit occuper l’éducation sexuelle au niveau des jeunes ?
L’éducation sexuelle a une place primordiale chez les jeunes. Et je pense qu’elle doit commencer en famille parce que les parents que nous sommes, considérons à tort que c’est un tabou de parler de sexualité avec les enfants. Mais je pense que c’est une erreur parce que, si vous n’inculquez pas à vos enfants les vraies valeurs à la maison, ils vont apprendre d’autres avec les amis, sur les réseaux sociaux, dans les médias, qui ne sont pas forcément les bonnes. Il faut que papa et maman aient le courage de parler de sexualité avec leurs enfants. Et il faut que soient délivrés des cours d’éducation sexuelle dans les écoles.
Ultime message ?
La femme, tout comme l’homme, a droit au plaisir sexuel.
Propos recueillis par Françoise DEMBELE