Le 26 décembre 2018, en Conseil des ministres, il a été adopté, au titre du ministère de la Santé, un décret portant mise en œuvre de la gratuité de la planification familiale au Burkina Faso. Cette politique, première du genre au Burkina Faso, suscite des appréhensions et des interrogations chez bon nombre de personnes. Pour comprendre davantage cette mesure, nous avons rencontré Dr Ida Salou Kagoné, Secrétaire chargé d’accélérer la transition démographique. Lisez plutôt !
Qu’est-ce que la planification familiale ?
La planification familiale est un ensemble de méthodes, de moyens qui permettent aux familles de planifier les naissances. Ce qui sous-entend que chaque famille peut décider du nombre d’enfants qu’elle veut au temps voulu. Elle permet également de faire respecter l’âge normal d’espacement des naissances qui est de 2 ans minimum et 5 ans maximum. Toute chose qui permet à la femme de maintenir son organisme en bon état et aux enfants de rester en bonne santé et de bénéficier de l’affection de leurs mères et des soins nutritionnels de qualité.
Le gouvernement est en passe de mettre en œuvre la gratuité de la planification familiale. Ya-t-il une nécessité ?
Bien sûr qu’il y a une nécessité d’adopter la gratuité de la planification familiale pour trois motifs. D’abord, il y a le contexte. En effet, le gouvernement, à travers cette mesure, veut réduire la mortalité maternelle. Des taux de prévalence contraceptive allant de 50 à 60% pourront contribuer à la réduction de la mortalité maternelle de 30% et la réduction de la mortalité néo-natale de 20%. A titre d’exemple, en 2015, sur 100 000 naissances, 330 femmes perdaient la vie. Ensuite, nos études, en 2015, ont permis de constater que le taux de femmes qui utilisaient la contraception, était autour de 22,5%. Ce qui ne permet pas de lutter efficacement contre la mortalité maternelle. Egalement, l’enquête révèle qu’il y a des besoins non satisfaits à hauteur de 19,4%. C’est-à-dire que sur 100 femmes, 20 auraient voulu espacer les naissances de leurs enfants, mais malheureusement elles n’ont pas accès aux méthodes contraceptives par défaut de moyens financiers. Le ministère a pu constater cette barrière financière suite à l’affluence dans les différentes formations sanitaires au cours de la semaine de gratuité de la planification familiale organisée chaque année.
Qu’implique cette mesure de gratuité ? Et qui seront les bénéficiaires ?
Cette gratuité s’intéresse à tous les services de soins. C’est-à-dire tout ce qui est service et soins relatif à la planification familiale est concerné par la gratuité. Les bénéficiaires de cette mesure, ce sont toutes les femmes, les jeunes filles, les hommes mariés et les jeunes hommes désirant faire usage des méthodes contraceptives.
Ne pensez-vous pas qu’il fallait y aller par étape en cherchant à lever d’abord les pesanteurs socio-culturelles ?
Pour cette mesure de gratuité de la planification familiale, on ne s’aurait dissocier les pesanteurs socio-culturelles de l’offre, mais plutôt arriver à concilier les deux en même temps. Au moment où nous sommes en train de travailler à sensibiliser la population pour lever les obstacles par rapport à la compréhension de l’utilisation des méthodes contraceptives, il faudra que les services d’offre des méthodes contraceptives soient disponibles. Etant donné que l’inaccessibilité à la planification familiale, par la majeure partie de la population, était due au manque de moyens financiers, nous allons œuvrer à ce que les produits soient disponibles.
D’aucuns estiment que rendre la planification familiale gratuite est une façon non pas d’espacer les naissances, mais de rendre les femmes stériles. Quels commentaires en faites-vous ?
La planification familiale a toujours existé dans nos sociétés. Avant les femmes utilisaient les perles et les colliers pour espacer les naissances. Mais en aucun moment, on parlait de rendre la femme stérile. Les méthodes contraceptives ne rendent en aucun cas les femmes stériles. Ce n’est pas parce qu’on a rendu la méthode gratuite qu’elle aura pour but d’empêcher les femmes de faire des enfants. Notre défi est de lever les difficultés auxquelles sont confrontés les bénéficiaires.
Quelles sont les méthodes contraceptives qui seront mises à la disposition des bénéficiaires de cette gratuité ?
Toutes les méthodes sont concernées. Il s’agit des pilules, des injectables, des implants qu’on met sous la peau, ainsi que des préservatifs.
Certains estiment que rendre les méthodes contraceptives gratuites pour les jeunes filles et jeunes garçons est une porte ouverte au libertinage. Qu’en dites-vous ?
Je pense que notre société a des valeurs qui sont enseignées aux enfants et aux jeunes. Ce qui constitue une référence permettant à ces jeunes de rester fidèles et de se préserver. C’est pour cette raison que je trouve que cette mesure de gratuité ne pourra pas avoir une influence négative sur ces valeurs. Néanmoins, nous allons communiquer avec la population pour ce qui peut être fait, afin qu’elle comprenne que cette mesure est loin d’être un moyen d’encourager les gens au libertinage sexuel. A cet effet, les services de santé, sont déjà outillés pour offrir des prestations de qualité à la population. Par exemple, avant l’application d’une méthode à un bénéficiaire, il y a d’abord un entretien entre l’agent de santé et la patiente pour déterminer au mieux la méthode convenable en lui expliquant les avantages et les effets secondaires.
Comment cela va-t-il se passer ? Est-ce que chaque femme intéressée peut se rendre dans n’importe quelle formation sanitaire et bénéficier gratuitement des méthodes de planification familiale ?
Cette mesure concernera tous les centres de santé publique du Burkina Faso, à savoir les CSPS (Centres de santé et de promotion sociale), les CMA (Centres médicaux avec antenne chirurgicale), les CHU (Centres hospitaliers universitaires). Seront concernés aussi, les privés qui seront conventionnés par l’Etat ou ceux qui désireront accompagner le gouvernement dans ces efforts de réduction de la mortalité maternelle à travers la planification familiale.
A quand le lancement officiel de cette mesure de gratuité de la planification familiale ?
Si tout va bien, à partir du 1er juin 2019 la population concernée pourra bénéficier de cette gratuité. Une fois que cette mesure sera appliquée, nous demandons à la population de ne pas douter de la qualité des produits gratuits, car les méthodes restent les mêmes qu’avant. Nous les invitons également à revenir auprès des agents de santé si toutefois, il y a des effets secondaires après application d’une méthode. Le ministère mettra en place un système de suivi d’application. C’est pourquoi nous exhortons la population à une franche collaboration. Nous invitons aussi la population à ne pas abuser de cette gratuité parce que derrière cette gratuité, quelqu’un paie le coût des méthodes contraceptives.
Propos recueillis par Isaac SEGUEDA