Dr Linéa Marina Ouédraogo, médecin généraliste, a soutenu sa thèse de doctorat en médecine le 27 avril 2022 à l’Université Pr Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou. Cette thèse a porté sur le thème « Connaissances et attitudes vis-à-vis du don de matériel biologique au Burkina Faso : cas spécifique du corps, des organes, du placenta, des tissus et cellules souches dans la ville de Ouagadougou ». Dans cette interview réalisée le 17 août 2022 à Ouagadougou, elle explique, entre autres, ce qu’est le don de matériel biologique et son impact dans la vie d’une population de plus en plus sujette à des pathologies chroniques.
Santeactu.bf : Qu’est-ce que le don de matériel biologique ?
Dr Linéa Marina Ouédraogo : Il s’agit d’un don de la matière première du corps humain. Entre autres, les organes, le tissu, les cellules, le sang, le plasma, c’est-à-dire ce qu’on ne peut pas avoir ailleurs que dans le corps humain.
Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce thème ?
Ce sont les réalités sanitaires du Burkina Faso qui ont motivé le choix de ce thème. Courant notre stage nous avons remarqué que de plus en plus, il y a beaucoup de besoin en greffe d’organes parce que beaucoup de personnes souffrent d’insuffisance rénale et d’insuffisance hépatique. Beaucoup de personnes souffrent également d’insuffisance cardiaque et de maladies chroniques. Je ne dirai pas que ce sont des maladies négligées mais comme ce ne sont pas des maladies contagieuses, les gens n’y font pas très attention. Et pourtant chaque année, on a 500 nouveaux cas d’insuffisants rénaux. Pour ce qui est de l’insuffisance rénale, au Burkina Faso, il n’y a pas une autre alternative que la dialyse qui ne permet pas de soigner l’insuffisance rénale mais elle se fait en attendant la greffe parce qu’il faut un nouveau rein. Et la dialyse n’est pas pratiquée partout et n’est pas accessible à tous.
Le don du sang placentaire peut sauver des drépanocytaires ou des enfants souffrant de cancer de sang. Si la greffe de moelle était possible au Burkina Faso, ou s’il y avait le don de sang placentaire, on aurait pu donner une chance à des enfants de pouvoir vivre et à leurs mères de pouvoir voir leurs enfants grandir et à ces enfants de pouvoir s’occuper de leurs mères. Pour tout cela, on a décidé d’attirer l’attention de l’opinion sur cette situation qui n’est pas connue de tous. Surtout qu’il y a de plus en plus d’hypertendus, de diabétiques et toutes ces maladies aboutissent à la longue à une défaillance organique notamment celle du rein. Cela veut dire que toutes ces personnes sont des candidats probables à la greffe d’organes. Donc il faut anticiper.
Qu’est-ce que vous avez constaté au cours de votre étude par rapport à l’attitude des personnes, quand on parle de don d’organes ?
Le but de l’étude était de savoir quel était le niveau de connaissance de la population sur cette question et ce qu’elles en pensaient. On a constaté que beaucoup ne savait pas que c’était possible de faire un don d’organes parce que ce n’était pas une chose commune. Il y a également les barrières religieuse et traditionnelle. Mais on a découvert que beaucoup évoquait ce problème sans savoir la position de leur religion ou de leur coutume par rapport au don d’organes. Certaines personnes ont évoqué la peur et la représentation du défunt dans les différentes contrées. Il y en a qui ont peur que l’on détourne les organes à d’autres fins. En résumé, les freins au don d’organes sont la sous-information et les mentalités.
Selon l’étude, comment les populations se comportent-elles face à un don d’organes ?
L’enquête a montré que beaucoup de patients étaient prêts à recevoir mais ce sont les donneurs qui étaient moindres. Pour ce faire, les personnes enquêtées ont préconisé la sensibilisation pour encourager les uns et les autres au don d’organes. Aussi, les uns et les autres, ont-ils suggéré l’implication des leaders religieux et coutumiers pour leur permettre de faire le don d’organes en libre conscience. Il y en a aussi qui ont évoqué l’absence de loi et l’inexistence d’un plateau technique approprié.
Comment peut-on parvenir au don volontaire d’organes ?
Il faut dire qu’il y a un don vivant et un don après la mort. Le don vivant concerne généralement les organes pairs et après le donneur peut vivre avec un seul organe. Selon la loi de la bioéthique, ce don ne peut être fait qu’à un parent ou quelqu’un avec qui on a un lien d’affectivité. Ce genre de don ne peut pas être fait à un inconnu. Ce genre de don peut concerner le rein et le foie parce que le foie se régénère. Le don de poumon est un peu plus rare. La moelle osseuse peut être donnée à tout le monde pas forcément à un parent proche. Il suffit qu’il y ait la compatibilité. C’est comme le don de sang.
Le don après la mort se fait de façon anonyme. On ne doit pas savoir de qui vient l’organe et à qui va l’organe. A ce niveau, il y a deux modalités. Le défunt de son vivant peut s’inscrire sur un registre de donneurs pour dire que s’il meurt il voudrait faire don de ses organes. Il y a aussi le consentement présumé où on suppose que tout le monde est donneur. De ton vivant si tu n’as pas opposé un refus, quand tu décèdes, on demande à la famille de donner son accord pour le prélèvement des organes. Mais au Burkina Faso, la loi ne prévoit pas le consentement présumé. La loi qui a été votée et qui n’est pas encore appliquée prévoit que si de son vivant une personne ne donne pas son consentement pour le prélèvement de ses organes s’il meurt même si les parents sont d’accord on ne peut pas faire le prélèvement d’organes.
Quel est l’appel que vous avez à lancer ?
Les personnes qui sont dans le besoin sont le plus souvent, le pilier des familles. Avant c’était les vieux qui avaient des problèmes organiques. Mais actuellement, par exemple, l’insuffisance rénale tourne autour de la trentaine et de la quarantaine.
Le besoin en don d’organes est une urgence au Burkina Faso qu’on veuille l’accepter ou pas parce que ce sont des bras valides qui s’en vont, ce sont des familles qui sombrent dans la pauvreté, c’est l’économie du Burkina Faso qui va en pâtir parce qu’il faut des citoyens vivants et bien portants pour travailler. On ne peut pas construire un pays avec des malades ou des invalides.
Par rapport au don de placenta. Le don du sang placentaire pourrait sauver des enfants souffrant de drépanocytose, de leucémie. On pourrait donner tout le placenta pour la science mais ici, il s’agit du sang placentaire. Une fois que le placenta est expulsé et qu’on a coupé le lien avec l’enfant, avant de remettre le placenta aux parents pour qu’ils aillent l’enterrer, on prend une seringue et on prélève le reste du sang du placenta que l’on garde en banque pour le transfuser à ceux qui en ont besoin. On contribue ainsi à sauver des vies.
On pense que cela n’arrive qu’aux autres mais les personnes hypertendues sont des probables candidats au don d’organes. Donc il vaut mieux anticiper pour leur permettre de pouvoir vivre longtemps.
Interview réalisée par Françoise DEMBELE