Dr Julien Savadogo : «Ici nous enterrons nos placentas tous les jours, pour aller nous faire des greffes de cornées à coût de millions, à l’extérieur»

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Chirurgien au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki-Zerbo, Dr Julien Savadogo a été le Directeur de thèse  de Dr Linéa Marina Ouédraogo qui a soutenu sur le don d’organes le 27 avril 2022. Avec lui, nous avons échangé sur le don d’organes que certains Burkinabè estiment être « un sacrilège ».

 

Santeactu.bf : Comment appréciez-vous le thème sur le don d’organes ?

 

Dr Julien Savadogo : Ce thème est d’une pertinence indiscutable vu le contexte sanitaire du Burkina Faso, vu le contexte scientifique, éducatif à l’université Joseph Ki-Zerbo et dans les autres universités publiques et privées du Burkina Faso où il existe une formation médicale. Ce thème colle à l’actualité du Burkina Faso parce qu’en décembre 2021, l’Assemblée nationale du Burkina Faso a voté une loi qui autorise le don d’organes sur sujets vivants.

 

Quelles conditions faut-il remplir, en général, pour un don d’organes ?

 

Pour le moment au Burkina Faso, il n’y a pas conditions à remplir pour le moment pour un don d’organe, puisque la loi sur le don de matériel biologique n’est pas effective, car le décret d’application de la loi n’est pas encore effectif. Une fois que le décret sera effectif, pour faire un don d’organes au Burkina Faso, il suffira à chacun d’accepter le don de matériel biologique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le don d’organes est actuellement la meilleure qualité de soin que l’on puisse offrir à un malade, parce que quand on donne un organe à un patient qui en a besoin, c’est comme s’il commençait une autre vie. La deuxième condition qu’il faudra remplir est de s’inscrire sur un registre de donneurs. Parallèlement, on mettra en place un registre de receveurs et on peut également mettre en place un registre de refus de don de matériel biologique pour ceux qui décideraient de ne pas du tout donner une partie de leur corps ou tout leur corps à un sujet qui en a besoin ou à la science. Mais la condition pour que le Burkina Faso arrive à cela, il faut la sensibilisation. Avec cette thèse, on s’est rendu compte qu’il y a énormément de réticences, de blocages. Pour certains, le don d’organes est un sacrilège.

Dans le don de matériel biologique, on a voulu parler du don de corps, de placenta, de cellules souches et le don de tissus. Les Burkinabè adhèrent au don de sang. C’est du matériel biologique. Dans le placenta, on demande que la femme qui accouche accepte que l’on prélève du sang dans le placenta et qu’on puisse l’utiliser pour transfuser des enfants en pédiatrie qui, le plus souvent, n’ont pas besoin de plus de 10 millilitres, de 20 millilitres pour vivre. En dehors du sang que l’on peut prélever du placenta pour traiter la leucémie et les tumeurs malignes, le placenta lui-même a des membranes que l’on peut utiliser pour faire des greffes de cornées. Ici nous enterrons nos placentas tous les jours, pour aller nous faire des greffes de cornées à coût de millions, à l’extérieur et nous grevons annuellement le budget du Burkina Faso. Alors que les ophtalmologues peuvent utiliser ce placenta pour faire des greffes de cornées.

Si le Burkina Faso ne va pas vers ce don de matériel biologique, nous allons payer et nous sommes déjà en train de payer parce que la facture médicale est servie à chacun de nous. Les premières greffes de cœur et de poumon ont été faites en Afrique du Sud.

 

Le système sanitaire burkinabè est-il prêt pour le don de matériel biologique ?

 

Le système sanitaire burkinabè ne pourra être jamais prêt pour le don de matériel biologique tant que la décision ne sera pas politique et qu’on ne mettra pas les hommes de sciences face à leur responsabilité. Il faudrait améliorer les structures sanitaires dans lesquelles se feront les greffes. Il faudrait relever le plateau technique et il faudrait créer également, sinon améliorer les structures hospitalières dans lesquelles ces greffes seront réalisées et dédier certaines structures au don de matériel biologique au Burkina Faso. Il faut qu’il y ait une banque d’organes. Il est bien vrai que tous les organes ne peuvent pas être conservés de façon indéfinie. Mais les corps pour la dissection au laboratoire d’anatomie, pour les étudiants, peuvent être congelés pour les conserver. Mais pour les organes qu’il faut greffer, la conservation fluctue entre 6h et 48h. Il faudrait pouvoir conserver ces organes pour pouvoir les transporter.

Il faut relever le plateau technique des hôpitaux si on veut aller vers cette qualité de soin. C’est une urgence. Il faut également un personnel de soins de qualité. Je ne dis pas que nous ne faisons pas dans la qualité actuellement. Mais nous faisons moins que ce qu’on fait ailleurs.

En dépit de la progression sur le plan de la formation, et sur le plan pédagogique, il faut avouer qu’aucun étudiant en médecine n’est formé sur le cadavre. Ils sont formés dans des laboratoires d’anatomie sur des pièces osseuses acquises depuis les années 80 mais aucun étudiant n’est formé sur un cadavre. Aucun chirurgien burkinabè n’apprend à opérer sur un cadavre avant d’aller opérer sur le vivant. Ils apprennent directement sur le vivant. Le Burkina Faso n’est pas encore arrivé à ce niveau d’expertise où on doit apprendre sur le cadavre avant d’aller apprendre sur le vivant. L’avantage de travailler sur le cadavre est qu’une fois que les étudiants n’ont pas compris sur le vivant pendant que le spécialiste, le chirurgien titulaire est en train d’opérer un patient, ils peuvent revenir sur le cadavre pour mieux comprendre. On peut ramener les apprenants au laboratoire d’anatomie pour perfectionner à souhait les techniques chirurgicales parce que l’erreur sur le vivant entraîne une complication.

Le laboratoire d’anatomie de l’Université Joseph Ki-Zerbo a été rénové par un financement acquis auprès de l’Etat burkinabè.  Il existe des possibilités d’avoir des cadavres humains. Le président Thomas Sankara a signé, depuis 1984, un arrêté autorisant la récupération de tous les sujets cadavériques non réclamés par une famille ou une tierce personne dans le laboratoire d’anatomie de l’université pour des travaux scientifiques dans un but diagnostic ou thérapeutique. La chambre froide du laboratoire d’anatomie est fonctionnelle et peut contenir quatre cadavres. Le seul problème est qu’il n’y a pas de relais énergétique. En cas de coupure de courant, les cadavres ne seront plus bien conservés. Il manque au laboratoire d’anatomie un groupe électrogène ou des plaques solaires. Une fois que l’on aura réglé ce problème, cela permettra aux étudiants d’apprendre sur le cadavre avant d’aller apprendre sur le vivant dans les hôpitaux. Les problèmes, on les connaît et on les pose tous les jours.  Il faudrait de la volonté politique pour qu’on aille vers une résolution de ces problèmes majeurs.

 

Interview réalisée par Françoise DEMBELE

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