Une étude chez des souris montre le développement de tumeurs malignes après une exposition aux sels d’aluminium, utilisés en vertu de leur pouvoir anti-transpirant.
Cela a d’abord été une rumeur circulant par emails, avant d’être une question sur laquelle les scientifiques se sont penchés : les sels d’aluminium présents dans beaucoup de déodorants, en vertu de leur pouvoir anti-transpirant, favoriseraient le développement du cancer du sein. Les preuves épidémiologiques manquent pour confirmer une telle causalité, mais la publication sur le site de l’International Journal of Cancer, en août, d’une étude suisse sur des souris reprise dans la presse, a relancé l’hypothèse. Pourtant, l’extrapolation du résultat à l’espèce humaine ne va pas de soi.
L’incidence du cancer du sein a augmenté, notamment dans les pays occidentaux, au cours des dernières décennies : on enregistre une hausse de 20 % entre 2008 et 2013 dans le monde, avec 1,7 million de nouveaux cas diagnostiqués chaque année et plus de 500 000 décès en 2012. Plus récemment, une diminution est toutefois intervenue pour les femmes autour de la cinquantaine, attribuée au coup de frein sur le recours aux traitements hormonaux substitutifs de la ménopause.
Diverses causes environnementales ont été recherchées pour expliquer la tendance générale à la hausse. Présents dans de nombreux produits de consommation courante (déodorants, médicaments antiacide, additifs alimentaires, vaccins…), les sels d’aluminium ont attiré l’attention des chercheurs.
Modification génétique
L’équipe suisse dirigée par l’oncologue André-Pascal Sappino et le biologiste Stefano Mandriota, de l’université de Genève et de la fondation des Grangettes, est partie de l’hypothèse que les sels d’aluminium fréquemment contenus dans les déodorants puissent atteindre à des doses significatives les cellules de la glande mammaire, du fait d’une application quotidienne sur la peau des aisselles. Ils se sont appuyés également sur le fait que ce métal soit absorbé à travers la peau humaine et celle de la souris, et que l’on puisse mesurer sa présence dans différents compartiments du sein.
Ces mêmes chercheurs avaient montré en 2012 que des cellules mammaires humaines mises en cultures et exposées à l’aluminium in vitro subissaient une modification génétique. Pour leur nouvelle étude, ils ont recherché des preuves expérimentales sur un modèle animal qui « pourraient considérablement renforcer les doutes sur la sécurité de l’aluminium ». Ils ont utilisé pour cela des cellules de glandes mammaires de souris mises en culture en présence de concentrations d’aluminium d’un niveau comparable à celui retrouvé dans le sein humain.
Ces cellules ont ensuite été injectées sous la peau de souris appartenant à trois lignées différentes présentant une immunodéficience décroissante, utilisées comme modèle pour le cancer. L’injection de cellules de glande mammaire de souris non exposées au chlorure d’aluminium ne provoque des tumeurs malignes et des métastases que chez les souris hautement immunodéficientes, tandis que celles soumises à l’aluminium en produisent dans les trois lignées.
Etudes épidémiologiques
« Les preuves conclusives du potentiel carcinogénique de l’aluminium requièrent des études épidémiologiques chez les humains et des essais in vivo où l’aluminium est directement appliqué sur la peau de souris », reconnaissent les auteurs de l’étude, mais, en attendant de disposer de telles données, ils estiment que leurs observations « fournissent des preuves expérimentales supplémentaires que les sels d’aluminium pourraient être des cancérogènes du sein environnementaux ».
« Cette étude démontre que des souris plus ou moins immunodéprimées développent plus de tumeurs lorsqu’elles ont reçu des cellules traitées avec de l’aluminium. Tout le problème est le passage d’une observation sur un modèle animal à l’espèce humaine. Les auteurs de l’étude se montrent d’ailleurs très prudents dans leurs conclusions », remarque Claudine Berr, médecin épidémiologiste à l’Inserm, qui faisait partie en 2004 du groupe d’experts réunis par l’Institut de veille sanitaire et les agences de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur le thème « Aluminium, quels risques pour la santé ? » « La prudence est de mise et il faut savoir résister à la tentation d’extrapoler, c’est une question de responsabilité », renchérit Bernard Jégou, le directeur de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail.
Cela ne signifie pas que l’éventualité d’un pouvoir cancérogène soit exclue mais elle reste à démontrer. « Nous avons connu ce genre de situation pour évaluer les liens éventuels entre exposition à l’aluminium chez l’homme et développement d’une maladie d’Alzheimer, mais rien n’est venu confirmer cette hypothèse », se souvient Claudine Berr.
Piste à creuser
Le problème réside dans le manque de données épidémiologiques concernant l’exposition aux sels d’aluminium par les très nombreuses femmes utilisant des déodorants, et ses éventuelles conséquences sanitaires. L’étude prospective française E3N ou ses homologues américaine (Nurses Health Study) et britannique (Million Women Study) n’ont pas produit de résultats sur ce point. « Je n’ai pas connaissance d’études épidémiologiques solides prouvant un effet des déodorants contenant des sels d’aluminium sur le risque de cancer du sein, avoue Marie-Christine Boutron-Ruault, de l’Institut Gustave-Roussy, responsable de la cohorte E3N. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’existe pas de risque, plutôt qu’il n’a pas été possible de l’étudier, sans doute une piste à creuser dans de futures études. Pour l’instant, il me semble qu’avant de paniquer les populations, il faut favoriser les études sérieuses. »
Certaines études du début des années 2000 n’ont pas trouvé de corrélation entre l’aluminium et le cancer du sein, indique le site de la Société américaine du cancer qui a mis en ligne une foire aux questions (en anglais et espagnol) pour réfuter une telle association. Mais l’absence de preuve scientifique n’empêchera sans doute pas des utilisatrices et utilisateurs de déodorants de se tourner par précaution vers des produits ne contenant pas de sels d’aluminium.
« L’aluminium est loin d’être le seul contaminant inquiétant dans notre environnement. Par exemple, l’apparition des nanoparticules, auxquelles sont exposés les enfants dès leur très jeune âge, notamment via les bonbons dragéifiés ou le sucre glace, mais aussi dans les crèmes solaires ou les dentifrices, retient notre attention, précise Marie-Christine Boutron-Ruault. Un groupe de travail va se constituer à l’Agence nationale de sécurité sanitaire pour tenter d’évaluer les risques associés. »
Source : Le monde