Covid-19 et chloroquine : « il faut donner le traitement à des personnes sans antécédent cardiaque à cause des risques de cardio-toxicité», dixit Pr Halidou Tinto

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Avec son traitement à la chloroquine, le Professeur Didier Raoult a divisé le monde scientifique qui peine à trouver un médicament contre le Covid-19. Le Burkina Faso est l’un des pays qui a opté de traiter les malades du Covid-19 avec de la chloroquine alors que ce médicament avait été retiré du marché. Mais qu’est-ce que la chloroquine ? Pourquoi son utilisation est-elle si encadrée ? Pr Halidou Tinto, directeur de recherche à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) nous renseigne. Par ailleurs, Pr Tinto est aussi enseignant et professeur associé à l’Université Nazi Boni, enseignant associé à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers en Belgique, directeur régional de l’IRSS dans le Centre-ouest, basé à Nanoro et chef de l’unité de recherche clinique de Nanoro.

« Santeactu.bf» : Qu’appelle-t-on chloroquine ?

Pr Halidou TINTO : La chloroquine est un antipaludique de la famille des amino-4-quinoléines qui a été largement commercialisée sous forme de sels (sulfate ou phosphate). Pour vous faire un peu un cours d’histoire, il faut savoir qu’au 17e siècle, l’écorce amère de l’arbre à quinquina était déjà connue pour ses vertus contre la fièvre, mais il faut attendre l’année 1820 pour que deux pharmaciens français (Pelletier et Caventou) isolent de cet arbre la quinine qui est connu sous le nom plus populaire de Quinimax. Ensuite, comme il était fastidieux d’extraire de très grande quantité du produit à partir de l’écorce de l’arbre, des chimistes Allemands ont mis au point une technique de synthèse qui permet de produire le médicament au laboratoire à partir de substance chimique. C’est cela qui a donné naissance aux deux premiers antipaludéens de synthèse qui sont la chloroquine (communément appelée Nivaquine) et l’hydroxychloroquine.

Pour quelles pathologies la chloroquine est-elle utilisée ?

La chloroquine est le médicament qui a été le plus largement utilisé au monde pour traiter et prévenir le paludisme. Son produit dérivé l’hydroxychloroquine grâce à ses propriétés anti-inflammatoires est aussi très utilisée contre des maladies auto-immunes telles que le lupus et des maladies rhumatoïdes telles que la polyarthrite rhumatoïde. La chloroquine est un produit qui a également montré au laboratoire des effets contre les virus, mais qu’on n’arrive pas ou mal à reproduire lorsqu’on le teste chez l’homme. C’est d’ailleurs cette dernière propriété qui est mise à profit par les défenseurs de son utilisation pour traiter le Covid-19 aujourd’hui.

Pourquoi le Burkina Faso a retiré ce médicament du marché ?

 

Le Burkina Faso a retiré la chloroquine des options thérapeutiques pour le traitement du paludisme parce que le parasite était devenu résistant au médicament. L’histoire remonte aux années 2000 lorsque l’équipe du Pr Tinga Robert Guiguemdé auquel j’appartenais et qui était chargée de la surveillance de la résistance aux antipaludiques a pu démontrer sur 3 années consécutives que lorsqu’on soignait les gens avec la chloroquine plus de la moitié n’en guérissait pas, car le parasite était résistant au médicament chez plus de 50% des malades traités. Cela a conduit le ministère de la Santé à travers le Programme national de lutte contre le paludisme a convoqué un atelier sous l’égide de l’OMS pour procéder au changement du protocole de traitement du paludisme avec le retrait de la chloroquine et son remplacement par les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine qui sont aujourd’hui les traitements recommandés pour la prise en charge du paludisme au Burkina Faso.

Quelle est la particularité de ce médicament dans la lutte contre la pandémie du Covid-19 ?

Comme je l’ai dit plus haut, il y a des recherches menées au laboratoire qui ont pu démontrer que la chloroquine avait une activité antivirale. C’est donc à partir de ces résultats que l’idée est venue de l’utiliser dans le cadre du traitement du Covid-19. Toutefois, à l’état actuel des connaissances, il n’existe aucune étude scientifiquement robuste qui a pu faire la preuve de l’efficacité de ce traitement contre le Covid-19.

 

Est-il autant nocif pour la santé pour qu’on interdise sa vente dans les officines pendant qu’il est utilisé pour soigner le Covid-19 ? Pourquoi interdit-on l’automédication ?

Il faut savoir que lorsque la chloroquine était utilisée pour traiter le paludisme, il était utilisé à la dose de 25 mg/Kilogramme du poids du malade repartis sur 3 jours à raison de 6 comprimés de 100 mg le 1er jour, 6 comprimés le deuxième jour et 3 comprimés le 3e jour, soit au total 15 comprimés de 100 mg. Par contre, dans le cadre du traitement du Covid-19, il est utilisé à raison de 3 comprimés de 200 mg par jour pendant 10 jours ; ce qui fait au total 60 comprimés de 100 mg pour les 10 jours de traitement. Vous conviendrez avec moi que cela n’a rien à voir avec les 15 comprimés utilisés pour traiter le paludisme. Si vous vous rappeler, il y a quelques années lorsque les gens voulaient se suicider, il leur suffisait juste de prendre d’un coup 10 comprimés de chloroquine et le tour était joué. Il faut savoir que la chloroquine est un médicament qui s’accumule vite car il s’élimine très lentement. C’est un médicament qui à forte dose peut avoir une toxicité sur le cœur et peut s’accumuler au niveau de la rétine des yeux et même vous causer une cécité dans certains cas d’intoxication. Bref, c’est un médicament qui à fortes doses est toxique et c’est la raison pour laquelle son utilisation dans le cadre du Covid-19 doit être très encadré de sorte à ce que lorsque les effets que je vous ai cités commencent à apparaître le corps médical puisse intervenir très rapidement pour vous prendre en charge de façon adéquate. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons qu’il n’est pas recommandé en automédication dans le cadre de la prise en charge du Covid-19. Il est important de préciser que dans le cadre du traitement du Covid-19, la chloroquine n’est pas utilisée toute seule mais plutôt en association avec un antibiotique à large spectre qu’on appelle l’Azithromycine qui est également très connu.

Quel type de patient peut être traité à la chloroquine ?

La décision de traiter les patients au Burkina Faso avec la chloroquine s’est sans doute inspirée du protocole du Pr Didier Raoult et si c’est le cas, ce protocole recommande de faire un électrocardiogramme aux patients avant de les mettre sous traitement. Cela est nécessaire pour ne pas exposer des patients avec des anomalies cardiaques à de telles fortes doses de chloroquine qui peut leur être fatal. Je dirai donc qu’il faut donner le traitement à des personnes sans antécédent cardiaque à cause des risques de cardio-toxicité du médicament à ces fortes doses.

Pensez-vous que l’après-Covid-19 pourrait encourager la réintroduction de ce médicament dans les pharmacies ?

 

En réalité la chloroquine n’a jamais disparu des rayons des pharmacies au Burkina Faso, car comme je l’ai dit plus haut, même si elle n’est plus utilisée pour le traitement du paludisme, son dérivé l’hydroxychloroquine est utilisé par les personnes qui souffre de maladie auto-immune et notamment le Lupus qui doivent le prendre à vie. Seulement, elle doit être vendue uniquement sur prescription médicale.

Que pensez-vous des débats soulevés (dans le milieu médical) dans l’utilisation de la chloroquine dans ce contexte de Covid-19 ?

 

Toutes les études qui ont été publiées jusqu’aujourd’hui ont abouti à des résultats controversés, car certaines de ces études n’ont pas pu démontrer une efficacité de ce traitement alors que d’autres comme celle du Pr Didier Raoult disent qu’il est efficace. La dernière publication que j’ai vue indique que ce sont les effets anti-inflammatoires de la chloroquine qui sont mis à profit dans le traitement du Covid-19 comme c’est le cas d’ailleurs dans le cas des maladies auto-immunes. C’est d’ailleurs à cause de cette controverse que nous avons proposé de conduire l’essai clinique CHLORAZ au Burkina Faso avec pour objectif de tester justement l’efficacité de la chloroquine dans des conditions et une rigueur méthodologique meilleure à ce que le Pr Raoult a proposé car nous avions prévu un bras contrôle qui ne figurait pas dans l’étude du Pr Raoult. Le problème avec le Covid-19, c’est que dans 60%-80% des cas, vous pouvez guérir même sans traitement et donc il est difficile lorsque l’étude n’a pas de bras contrôle de dire que c’est la chloroquine qui vous a effectivement soigné et non pas cette guérison spontanée. Cependant avec la décision du gouvernement de généraliser l’utilisation de la chloroquine pour le traitement de la maladie, nous avons dû modifier notre protocole pour nous intéresser maintenant plus aux questions relatives aux effets indésirables du traitement afin d’informer le ministère de la santé qui pourra adapter le traitement au besoin.

En quoi le Covid-19 est-il une occasion de repenser (revoir) les conditions dans lesquelles opère la recherche en matière de santé au Burkina Faso ?

 

Je pense que comme la plupart des pays du monde, le gouvernement a été surpris par la vitesse avec laquelle la maladie a évolué et n’a pas suffisamment pris en compte l’aspect recherche dans sa stratégie de riposte. Alors qu’il était important que les chercheurs soient intimement associés au processus dès le départ pour répondre à certaines questions critiques au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie; ce qui allait permettre d’anticiper sur plusieurs aspects auxquels le ministère de la santé fait face aujourd’hui. Il faut que le gouvernement comprenne qu’il n’y a pas de développement possible dans tous les domaines sans la contribution de la recherche et c’est par cette recherche que tous les pays développés sont là où ils sont aujourd’hui. Bref la recherche est un outil indispensable au développement et il faudra dorénavant l’intégrer dans toutes nos stratégies de développement dans le domaine de la santé.

Interview réalisée par Françoise DEMBELE

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