Dans l’annuaire statistique 2017 du ministère de la Santé, il est rapporté que 10 859 cas de diabète sont enregistrés en consultation externe dans les centres médicaux et les hôpitaux dont 45 cas chez les enfants de moins de 15 ans, 4 936 cas chez les femmes et 5 877 cas chez les hommes. Il est aussi mentionné que plus d’un million de Burkinabè sont malades du diabète. Le diabète est une maladie chronique non transmissible avec des facteurs de risques qui sont l’hérédité et l’âge. On ne guérit donc pas du diabète. Il faut apprendre à vivre avec. Cela suppose qu’il faut avoir les moyens pour disposer de l’insuline et d’autres médicaments afin d’éviter les complications. Ce qui n’est pas évident. Du 5 au 9 décembre 2019 à Ouagadougou, des malades ont raconté ce qu’ils vivent comme difficultés financières et morale à cause du diabète. Vivre avec le diabète coûte cher.
Lazare Compaoré, la cinquantaine bien sonnée, est assis sur un banc, l’air soucieux, attendant d’entrer pour sa consultation chez le médecin. Il est venu dans la matinée du 5 décembre 2019 en consultation externe au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bogodogo et ce n’était pas le jour de son rendez-vous. « J’ai perdu l’ordonnance qui me permet d’avoir les produits contre mon hypertension. C’est pourquoi je suis venu voir le médecin pour prendre une autre ordonnance », nous confie-t-il. Il n’est pas seul sur le long banc qui fait face à la porte du bureau du médecin qui doit le recevoir.
Lazare Compaoré est avec d’autres patients qui, eux aussi, sont venus en consultation externe, mais pas pour la même raison. En effet, la plupart des personnes assises sur le banc sont venues parler de leur diabète au médecin. Et Lazare, en plus d’être hypertendu, est diabétique depuis environ cinq ans. « Ce n’est pas facile pour un militaire retraité », avoue-t-il. Pour les médicaments et les examens, Lazare dit dépenser plus de 15 000 F CFA entre deux rendez-vous avec le médecin qui s’occupe régulièrement de son diabète. Le rendez-vous étant prévu tous les quatre mois. Le quinquagénaire dit « grouiller » pour ne pas manquer de médicaments, car il y va de sa vie. De façon ironique, il lâche : « on attend notre jour seulement. Si ça arrive, on va partir. Moi-même, je suis conscient de cela ». Le militaire retraité fait allusion au fait que le coût du traitement est cher et qu’il ne pourra peut-être pas le couvrir tout le temps. Avec son diabète, le quinquagénaire explique que tout a changé dans sa vie, surtout son régime alimentaire : « Le médecin m’a dit d’arrêter de fumer ». Il lui est aussi interdit de boire de l’alcool ou toute autre boisson sucrée et de manger bien d’autres aliments. Du coup, affirme-t-il, « je ne peux pas manger ce que les autres mangent ». « Moi, je ne mange que du tô », précise le vieux Alassane Zagré qui se trouve sur le même banc.
« Et ce qui était un petit trou est devenu une grande plaie qui ne guérit pas »
Né en 1939, ce dernier est diabétique depuis trois ans, confesse-t-il. Sans détour, il continue en ces termes : « Je ne peux pas bien manger, car on ne met pas d’huile, de cube maggi, ni de sel dans ma sauce parce que je suis hypertendu ». Pour son accompagnante, Alice Compaoré, « ce n’est même pas cela le problème. Le problème, ce sont les médicaments ». Et comment cela se passe-t-il pour les médicaments ? « Les médicaments du vieux coûtent cher. Le jour où on prend une ordonnance, 20 000 F CFA ne suffisent pas pour acheter tous les médicaments de papa. C’est le grand-frère qui donne l’argent mais souvent, il dit qu’il n’a pas d’argent. Avec les autres frères, nous nous cotisons pour payer les médicaments mais ce n’est pas facile », répond Alice Compaoré.
Avec le recul, elle se souvient du début de la maladie de son père comme si c’était hier : « Au début, on pensait que c’était des sorciers qui avaient jeté un sort à notre papa. Il a été piqué par un petit bois au village. Et ce qui était un petit trou est devenu une grande plaie qui ne guérit pas. On a soigné la plaie avec des médicaments traditionnels mais elle ne guérissait toujours pas. A un moment donné, le vieux réagissait comme quelqu’un qui a perdu la tête. On était obligé de l’amener à Ouagadougou pour des soins. Et c’est là que le médecin nous a fait savoir qu’il avait le diabète. Pour que son état soit stabilisé, on a dépensé plus de 50 000 F CFA entre les médicaments et les examens », raconte-t-elle l’air triste. Mais, tout ce dont se souvient le vieux Zagré, c’est de son régime alimentaire : « je ne mangeais que de la salade à ce moment ». Pendant que l’on discute, sa fille l’interpelle parce que c’est leur tour de voir le médecin. La porte du bureau s’ouvre et ils s’y engouffrent. L’octogénaire qui estime que son régime alimentaire est draconien, est obligé d’être sous traitement durant le reste de sa vie parce que le diabète est une maladie chronique avec laquelle il faut vivre.
« Mon salaire ne vaut même pas ça »
Si Alassane Zagré n’a le diabète que depuis trois ans, le père de Fatimata Cissé, qui a plus de quatre-vingt ans, lui, le traîne depuis 15 ans. Il prend des médicaments mais sa maladie se complique au fil des ans. « Il y a six ans de cela, il a été amputé au niveau de la plante du pied droit », signale dame Cissé qui ajoute que quand il fait des crises, c’est plus de 200 000 F CFA que la famille dépense pour le stabiliser. Et cette fois-ci, ils sont à l’hôpital parce que papa Cissé a une plaie qui ne guérit pas au niveau de la plante du pied gauche. Et ce, depuis deux mois. L’octogénaire est au bord des larmes, le groupe de personnes qui l’accompagne est désemparé. Son cas semble grave puisqu’après la consultation, le médecin leur demande d’aller au service de chirurgie pour voir l’état du pied. Aux dernières nouvelles, le malade a perdu la plante de son pied gauche. Un coup dur, moralement et financièrement, pour le malade et la famille d’autant plus que d’autres personnes dans la même famille ont aussi le diabète. D’où le cri du cœur de Fatimata Cissé : « si l’Etat pouvait subventionner les médicaments contre le diabète, cela allait beaucoup nous soulager ». Rosine Sam, la mère de Josias Henri Kaboré, diabétique, est du même avis. Le matin, aux environs de 9h le 6 décembre 2019, sur rendez-vous au CHU-Bogodogo, elle soutient avoir traversé beaucoup de difficultés avec la maladie de son fils. Toujours sur le banc réservé aux patients en attente, elle est avec son fils de quinze ans, en classe de 3e. Svelte, jovial et détendu, le garçon suit sa mère comme son ombre. Assis côte-à-côte sur le banc, Henri Josias Kaboré raconte comment il a été diagnostiqué diabétique à l’âge de 11 ans : « J’avais des maux de tête. Je vomissais, je tremblais et j’urinais beaucoup. Quand ma maman m’a amené à la pédiatrie, on m’a fait des perfusions dans lesquelles il y avait du sucre. Cela a duré deux mois mais je ne guérissais pas. Au contraire, je maigrissais et la fièvre ne baissait pas ». Rosine Sam intervient dans ce récit : « Après deux mois d’hospitalisation, nous avons demandé à rentrer à la maison. Comme la fièvre ne baissait pas, nous sommes repartis à la pédiatrie et on nous a référés au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Bogodogo en son temps. C’est là que les médecins se sont rendu compte, après des examens, que l’enfant fait le diabète. On lui a prescrit des médicaments et de l’insuline pour stabiliser le mal.
Deux semaines après, son état s’est amélioré et nous sommes rentrés à la maison, deux mois après ». Actuellement, Henri Josias dit « se sentir bien » parce qu’il se pique deux fois par jour avec l’insuline. Toute sa vie ne tient qu’à ces molécules d’insuline. Après un calcul rapide, le diabète de Josias coûterait plus de 50 000 F CFA par mois. « Mon salaire ne vaut même pas ça », réagit la mère du malade, jetant loin son regard, l’air pensive. En réalité, Rosine Sam a perdu son conjoint depuis le cinquième mois de grossesse de Josias et elle dit ne pas avoir de soutien pour payer les médicaments de son fils. Vu la situation, il a été possible pour Josias Kaboré d’intégrer un programme mis en œuvre par une ONG américaine dénommée « Life for a child » qui octroie de l’insuline et d’autres médicaments gratuitement aux enfants diabétiques jusqu’à l’âge de 25 ans. « Je leur dis merci parce que si ce n’était pas ce programme, je ne sais pas comment j’allais faire pour payer tout le temps l’insuline de Josias », déclare dame Sam.
« S’il faut faire des examens, en plus, on est facilement dans les 100 000 FCFA par mois »
Le programme intervient au Burkina Faso depuis 2013. A Ouagadougou, le programme est établi au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO). Et le fils de Cheick Ali Traoré, est le plus jeune malade du groupe. « Fayçal Traoré a été diagnostiqué quand il avait deux ans et deux mois, en juin 2018. Et depuis lors, on essaie de s’y faire », relate-t-il, le 9 décembre 2019, quand nous l’avons rencontré au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. Il poursuit en affirmant qu’au début, c’était difficile financièrement mais, pour lui, « le plus difficile a été le volet psychologique parce que quand vous n’êtes pas préparé et qu’on vient vous dire que votre enfant de deux ans a le diabète, c’est votre monde qui s’écroule ». Cheick Ali Traoré estime qu’il faut un suivi psychologique pour les parents des enfants malades de diabète parce que le coup est dur.
« On tombe et on se relève tout seul et désormais, votre enfant ne peut plus aller chez le voisin. Il ne peut plus aller où il veut sans que vous ne soyez là pour contrôler tout ce qu’il mange et quand il mange. C’est assez difficile ». Parlant de la question financière, le père du plus jeune patient du groupe du CHU-YO, dit « dépenser au bas mot 80 000 F CFA par mois pour payer les bandelettes et l’insuline parce que compte tenu du jeune âge de l’enfant, l’insuline qu’on donne à l’hôpital n’est pas adapté. Donc, il fallait un autre type d’insuline avec huit à dix contrôles glycémiques par jour. S’il faut faire des examens en plus, on est facilement dans les 100 000 F CFA par mois. C’était assez compliqué à gérer, mais le programme nous soulage beaucoup ». Il a remercié toute l’équipe de l’hôpital qui accompagne les enfants atteints de diabète.
Si ces enfants ont la chance d’être soutenus financièrement jusqu’à l’âge de 25 ans, les adultes comme Rosalie Compaoré, âgée de 65 ans, ne peuvent pas en dire autant. Elle habite à Komsilga et c’est suite à une complication qu’elle a été admise d’urgence au Centre hospitalier universitaire de Bogodogo. En effet, son fils qui la conduisait à Ouagadougou pour honorer les rendez-vous médicaux et qui payait les médicaments, est décédé il y a de cela trois mois. Toute chose qui a conduit Rosalie à suspendre momentanément son traitement alors qu’elle est sous insuline. La sexagénaire dit ne pas savoir comment payer ses médicaments puisque quand elle est arrivée aux urgences, elle a soigné le paludisme et stabilisé son diabète. Mais l’autre mal qui fait partie des complications du diabète n’a pas encore eu de solution parce qu’elle dit ne pas avoir d’argent pour payer les médicaments. Elle a l’œil droit enflé. Selon son médecin traitant, Dr Marie-Madeleine Rouamba, « Rosalie souffre d’un zona ophtalmique et si elle ne se soigne pas, elle risque de perdre son œil ».
Françoise DEMBELE