Voilà presque un an qu’une mystérieuse pneumonie se déclarait à Wuhan, en Chine. Presque aussi longtemps que le coronavirus responsable de celle qui allait rapidement devenir la pandémie de la Covid-19 a été identifié et baptisé du nom de SARS-CoV-2. Et presque aussi longtemps que les experts tentent d’en déterminer l’origine. Étienne Decroly, virologue au CNRS, éclaire pour nous les différentes hypothèses étudiées.
Déjà 44 millions de cas et 1,1 million de morts. C’est le bilan au 30 octobre de la pandémie de la Covid-19 qui frappe le monde depuis plusieurs mois maintenant. Un bilan très provisoire. Car selon les experts de l’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, le coronavirus responsable de l’infection reste actif. Pire : un peu partout dans le monde, sa propagation s’accélère. Alors que certains cherchent des moyens de le contrer en mettant au point traitements et vaccins, d’autres sont toujours en quête de ses origines.
Lesquelles ? Chauve-souris ? Pangolin ? Le marché de Wuhan, en Chine ? La trajectoire qui a mené le coronavirus baptisé SARS-CoV-2 jusqu’aux humains n’a-t-elle pas été clairement définie il y a plusieurs mois déjà ? « Il se pose toujours un certain nombre de questions autour de l’origine de ce coronavirus, nous assure Étienne Decroly, virologue au CNRS. Tout n’est pas compris. Comment ce virus a-t-il franchi la barrière des espèces ? Comment est-il devenu hautement transmissible d’Homme à l’homme ? Ce ne sont que quelques exemples des éléments qu’il est important d’identifier pour mieux préparer l’avenir ». Pour mieux cibler les éventuelles pratiques à risques et nous éviter une nouvelle pandémie. Mais aussi pour élaborer des stratégies thérapeutiques et vaccinales.
Ce qui est acquis, c’est que « la première accumulation de cas symptomatiques a été enregistrée dans la région de Wuhan ». Difficile pourtant de pointer du doigt un patient zéro. « Le travail des chercheurs est compliqué par la prévalence importante des cas asymptomatiques », explique Étienne Decroly. Une commission d’experts a d’ailleurs été mandatée par l’OMS pour démêler les fils de cette histoire. Dans l’espace, mais aussi dans le temps. « Initialement, il était question d’une émergence du SARS-CoV-2 début janvier 2020. Mais la littérature scientifique rapporte des cas dès la fin du mois de novembre 2019. Le début de l’épidémie pourrait même remonter à plus tôt encore. »
Une comparaison des séquences génomiques d’échantillons viraux de différents malades infectés par le SARS-CoV-2 révèle un taux d’identité de 99,98 %. « Ce qui confirme que cette souche virale transmissible entre les humains a émergé très récemment », précise le virologue. Mais d’où provient-elle ?
Un virus de chauve-souris passé par un hôte intermédiaire ?
Il y a la piste du RaTG13, un coronavirus proche du SARS-CoV-2 collecté dès 2013 à partir d’excréments de chauve-souris dans la province du Yunnan à 1.500 kilomètres de Wuhan. Son génome est à 96 % identique à celui du SARS-CoV-2. Une proximité génétique importante « C’est le virus le plus proximal identifié à ce jour. Mais il n’est pas si proche que ça de celui qui nous intéresse », tempère le virologue. « Il est même trop différent pour être directement à l’origine de la pandémie que nous vivons actuellement. »
C’est pourquoi les chercheurs ont pensé à l’intervention d’une espèce hôte intermédiaire. Une espèce dans laquelle le coronavirus aurait pu évoluer jusqu’à devenir susceptible d’infecter des êtres humains. Dans le génome d’un coronavirus infectant les pangolins, ils ont découvert une courte séquence génétique codant pour le domaine de reconnaissance du récepteur ACE-2, apparenté à celle qui permet à SARS-CoV-2 de pénétrer les cellules humaines. Mais là encore, « le reste de son génome est trop différent de celui du SARS-CoV-2 — ils présentent un taux d’identité de 90,3 % seulement — pour pouvoir en être un ancêtre direct. »
Si les chercheurs semblent donc avoir finalement abandonné la piste du pangolin, ils n’en proposent pas moins de nouvelles. « Des recherches de virus ont été menées sur les espèces animales présentes sur le marché de Wuhan », précise Étienne Decroly. Mais pas un élément conclusif n’a été découvert. « Aujourd’hui, aucun résultat scientifique ne permet de comprendre ce qui s’est passé entre RaTG13 et SARS-CoV-2. C’est ce chaînon manquant qu’il nous faut caractériser. »
Transfert direct ou imprudence ?
Même si l’hypothèse d’un transfert direct ne peut, elle non plus, pas être exclue. À ce jour, il n’a certes jamais été documenté de transfert viral direct à partir des chauves-souris à l’origine d’épidémies humaines. Pourtant, l’institut de virologie de Wuhan — ce laboratoire P4 qui a été accusé par les États-Unis d’être la source de la pandémie de la Covid-19 — a montré que certains coronavirus de chauve-souris présentent les caractéristiques nécessaires pour infecter directement des cellules humaines en culture cellulaires. « C’est d’ailleurs probablement ce qui s’est produit en 2012, dans la province du Yunnan », précise Étienne Decroly. Pour rappel, trois mineurs avaient alors succombé à une pneumonie sévère atypique après avoir « nettoyé » une mine. L’agent infectieux responsable de leur décès n’a pas été caractérisé, mais les patients portaient des anticorps capables de reconnaitre le SARS-coronavirus et c’est dans cette même mine semble-il que le virus proximal RaTG13 a été identifié.
Toutes les hypothèses doivent être étudiées
Reste également l’hypothèse qu’il existe chez les chauves-souris, un autre coronavirus potentiellement pathogène, plus proche encore du SARS-CoV-2 que RaTG13, mais qui n’a pas encore été séquencé. Or, collecter des échantillons dans la nature puis identifier et séquencer les coronavirus portés par les chauves-souris, c’est justement ce à quoi travaille l’institut de virologie de Wuhan. « Les travaux menés dans ce laboratoire exposent les personnels à un risque non nul de contamination. Toutes les hypothèses doivent être étudiées. Y compris celle d’un coronavirus isolé lors de collectes dans la nature, qui se serait propagé à partir d’un laboratoire. Certains auteurs proposent également que ce virus puisse s’être adapté à d’autres espèces au cours d’études sur des modèles animaux avant de s’échapper accidentellement dudit laboratoire. »
Ne se référer qu’à une chose : la science
« Étudier l’origine d’un virus relève de la démarche scientifique. Il n’y a là rien de politique et encore moins de complotiste. Les scientifiques doivent s’intéresser aux faits. Et à ce qui peut leur permettre de trier les différentes hypothèses mises sur la table. Nous disposons d’outils efficaces pour y parvenir. À nous, scientifiques, de mener une recherche rigoureuse, dénuée de tout préjugé, souligne Étienne Decroly. Si à force de séquençage nous parvenons à trouver un virus animal présentant une très forte similarité avec le SARS-CoV-2, ce serait le signe de son origine naturelle. Des analyses bio-informatiques peuvent également être utilisées pour rechercher les traces éventuelles de manipulation génétique, mais ces études sont spéculatives ».
À l’heure actuelle, aucune étude scientifique n’a apporté d’élément définitif sur la question de l’origine du SARS-CoV-2. « Pour prendre un exemple, entre le moment où l’alerte épidémique a été donnée pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) responsable du Sida et celui où nous avons pu disposer des premières séquences de son ADN, il s’est écoulé plus de deux ans. Pour le SARS-CoV-2, il a suffi de douze jours », nous rappelle le virologue. Grâce aux progrès des technologies de séquençage. Mais aussi du fait que ce coronavirus a émergé dans une ville, dans laquelle la collecte d’échantillon a été relativement aisée. Le reste de l’enquête s’avère plus long qu’espéré. Pour ça aussi, il va nous falloir prendre notre mal en patience…
Source : Futura-science.com