Au Burkina Faso, il y a une augmentation progressive des cas généraux de cancer par an : une fréquence annuelle de 200 cas entre 1986 et 2006. Selon des données officielles, les femmes sont les plus touchées (55%), le cancer du sein étant le plus fréquent (18.1%). Ce cancer constitue en réalité un problème de santé publique au Burkina comme dans bien d’autres pays du monde. Un cancer du sein peut évoluer de nombreuses années sans entraîner la moindre manifestation, ni douleur ni grosseur. Mais il y a de l’espoir car les traitements progressent et le taux de guérison est très élevé : dépistage précoce, diagnostic, traitements et retour à la vie socioprofessionnelle. Le cancer du sein se manifeste généralement par la présence d’une boule dans le sein. Cette boule peut-elle empêcher une femme d’allaiter son bébé à travers l’autre sein ? Y a-t-il possibilité pour les femmes séropositives d’allaiter leur bébé ? Des éléments de réponses avec Dr Jean-Baptiste Guiard-Schmid, médecin spécialiste en maladies infectieuses et en santé publique, Directeur général du bureau d’études Initiatives Conseil International Santé (ICI Santé).
Burkina 24 (B24) : Docteur, l’on dit qu’allaiter peut prévenir un sein du cancer. Est-ce vrai ?
Dr Jean-Baptiste Guiard-Schmid (Dr GS) : C’est vrai. Une cellule est d’autant plus sensible à la cancérisation qu’elle est jeune ou indifférenciée. Or elle va devenir mature avec l’allaitement, permettant une différenciation du tissu mammaire et donc une protection de la glande mammaire contre d’éventuelles anomalies génomiques.
Néanmoins, ces bénéfices ne s’observent que sous couvert d’une durée relativement longue d’allaitement (plusieurs mois minimum) et de manière répétée (lors de plusieurs grossesses). Un allaitement de courte durée, a fortiori à l’occasion d’une seule grossesse, ne sera pas suffisant pour être protecteur. En somme, il convient de dédramatiser les liens entre cancer du sein, grossesse et allaitement.
Ce sont des situations que l’on voit régulièrement et qui se déroulent très bien la plupart du temps. Plus la durée de l’allaitement est longue, plus l’effet protecteur est grand. L’allaitement peut également provoquer un arrêt des menstruations et une infertilité temporaire. Allaiter peut donc permettre de prévenir le cancer du sein.
B24 : Dr, quelle est la situation du cancer du sein au Burkina Faso ?
DR GS : D’abord, il faut savoir que c’est le premier cancer des femmes. C’est un cancer qui est en continuelle augmentation dans l’ensemble du monde. Mais il y a une différence assez notable entre ce qui se passe dans les pays occidentaux et en Afrique. C’est dire qu’il y a plus de cancers chez les femmes occidentales que celles africaines.
La sédentarité, l’obésité, l’absence d’exercice physique sont des facteurs de risques qui font qu’aujourd’hui, on a une sorte de croissance assez rapide des nouveaux cas en Afrique donc au Burkina Faso par rapport aux années antérieures. On a une sorte de tendance de mondialisation de l’épidémiologie du cancer du sein. Mais il y a un message d’espoir pour toutes les femmes atteintes de cancer du sein. C’est que les traitements progressent et le taux de guérison est très élevé.
B24 : Est-il possible aujourd’hui de concilier grossesse et cancer du sein ? Comment sont pris en charge les cancers des femmes enceintes ?
Dr GS : Alors bien entendu, une femme enceinte chez qui on découvre un cancer du sein doit être prise en charge le plus rapidement possible et doit être traitée au même titre que les autres. Il y a des protocoles et des approches de traitements qui sont un peu différents. C’est qu’on va utiliser des protocoles de traitements spécifiques qui vont prendre en compte le fait que la femme atteinte est enceinte pour éviter évidemment d’utiliser des produits qui peuvent être délétères pour le fœtus.
La réponse à votre question, c’est bien entendu oui. Il faut qu’une femme enceinte qui aurait un cancer du sein soit traitée le plus vite possible pour que ces chances de guérir soient les meilleures. Et il faut faire attention en utilisant les meilleures combinaisons de chimiothérapie qui est une sorte de diffusion de médicaments destinés à détruire les cellules tumorales réalisées le plus souvent avant l’opération chirurgicale.
B24 : Peut-on donc dire que la chimiothérapie n’est pas néfaste pendant un allaitement maternel ?
Dr GS : Evidemment, une femme en cours de traitement d’un cancer du sein au moment de l’accouchement puis pendant le début de la vie de son enfant, on peut tolérer un allaitement si on utilise des protocoles corrects. Ce sont des cas relativement rares, heureusement.
B24 : Une femme ayant subi une mammectomie (ablation d’un sein) peut-elle allaiter son bébé avec l’autre sein ?
Dr GS : Le sein qui est intact et qui est saint, peut parfaitement être utilisé pour nourrir un bébé.
B24 : On sait qu’une femme séropositive peut mettre au monde un enfant saint. Sous traitement antirétroviral (ARV), peut-on allaiter un bébé ?
Dr GS : Les femmes qui vivent avec le VIH ont aujourd’hui, dans la mesure où elles sont prises en charge correctement d’un point de vue médical, une espérance de vie normale et une vie génésique tout à fait normale. C’est dire qu’elles sont capables d’avoir des enfants tout à fait identiques à une femme qui ne vivrait pas avec le VIH.
Ce qui est très important à dire, c’est qu’il faudrait dépister toutes les femmes enceintes qui sont séropositives de telle sorte à leur proposer un traitement antirétroviral. Et si elles prennent correctement ces traitements, le risque de transmettre le virus à leurs enfants est quasiment nul. C’est très important comme progrès scientifique, progrès technique, médical.
C’est d’ailleurs, un des plus importants progrès dans le domaine de la santé qu’on ait eu dans ces 30 dernières années. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on sait qu’une personne vivant avec le VIH, si elle prend son traitement correctement et que le virus est contrôlé par ce médicament, cette personne ne transmet plus le virus à quelqu’un d’autre. Que ce soit de la mère à l’enfant ou même que ce soit dans un couple ou en tout cas à travers des relations sexuelles. De nos jours, on a un outil.
Le traitement est un outil de prévention tout à fait extraordinaire dans le domaine du VIH. Autrement dit, l’enjeu aujourd’hui, c’est de dépister toutes les personnes qui sont infectées et leur proposer immédiatement le traitement. Si on arrive à identifier toutes les personnes séropositives au Burkina Faso, on peut stopper définitivement la progression de cette épidémie.
Malheureusement, on a toujours du mal à parvenir à ce résultat parce qu’il y a beaucoup d’obstacles, il y a beaucoup de personnes (femmes, hommes, jeunes) qui ont peur d’être dépistées. Il y a aussi la stigmatisation et la discrimination qui restent fortes par rapport à cette maladie. Il faut donc travailler à la fois sur l’offre de dépistage et de soins mais aussi lutter pour que l’environnement dans lequel on met en place ces programmes de santé soit facilitant afin d’atteindre des résultats de haut niveau.
Donc, une femme enceinte séropositive peut parfaitement avoir une grossesse normale sous réserve qu’elle prenne un traitement antirétroviral correctement jusqu’au bout. Sinon qu’il y a juste une petite mesure technique que l’on prend à ce qu’au moment de la naissance de l’enfant, on lui donne un traitement pendant quelques semaines pour réduire encore plus le risque de transmission du VIH. Grosso modo, on peut recommander aux femmes séropositives d’allaiter normalement leur bébé.
B24 : Un dernier mot pour clore l’interview ?
Dr GS : Il faut dire en gros qu’en Afrique, il y a plus de mortalité liée au cancer du sein parce qu’ils sont découverts trop tardivement et parce qu’on n’a pas vraiment mis en œuvre pour l’instant de stratégies de dépistage systématique chez les femmes. Donc, il y a un gros travail à faire en la matière sur notre continent pour rattraper le retard. Aujourd’hui, dans les pays qui ont des infrastructures sanitaires modernes et des stratégies de dépistage systématique, on est à 80% de réussite du traitement du cancer du sein, contre environ 60% en Afrique.
Par ailleurs, il y a une très grande importance aujourd’hui à promouvoir l’allaitement maternel pour plusieurs raisons. C’est non seulement bon et essentiel pour la santé des enfants mais aussi pour la mère. Egalement, l’allaitement doit commencer dès la naissance dans la mesure du possible (allaitement maternel exclusif) car le colostrum sécrété au début par les seins maternels est très riche et bénéfique pour les enfants. Dame nature a bien fait les choses. Si on la respecte, ça marche.
Source : Burkina 24