Au Burkina, les belles promesses de la pommade anti-paludisme

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Un chercheur burundais a conçu une crème au karité chargée d’une molécule répulsive efficace durant au moins cinq heures.

Pourquoi ne parvient-on toujours pas à éradiquer le paludisme ? La question taraude Gérard Niyondiko depuis qu’il est petit. Les souvenirs de son corps allongé sur un brancard d’hôpital au Burundi, son pays natal, pris par une énième crise de « palu » lui reviennent régulièrement. « Toutes les deux minutes, un enfant meurt de cette maladie dans le monde », s’indigne-t-il.

En 2017, 200 millions de cas et 93 % des décès ont été recensés en Afrique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Des chiffres d’autant plus alarmants que la résistance aux insecticides et aux antipaludiques y progresse de manière inquiétante. Bien sûr, « des moustiquaires de troisième génération et de nouveaux insecticides sont en train d’être créés, mais ils seront bien plus chers que les précédents », s’alarme Gérard Niyondiko, pour qui il est urgent de trouver de nouveaux outils et de revoir totalement notre approche dans la lutte antivectorielle. C’est dans cet esprit qu’il a inventé Maïa, une pommade antimoustique à bas prix, avec laquelle il « espère sauver 100 000 vies ».

Un savon qui prend l’eau

Quand Gérard Niyondiko se lance dans ce projet « un peu fou », il a 36 ans. Il vient tout juste d’arriver au Burkina Faso pour reprendre ses études à l’Institut international de l’eau et de l’environnement (2ie) de Ouagadougou. Cet ancien professeur de chimie qui a grandi au milieu des savonneries du Burundi espère y réaliser son rêve de toujours : monter sa propre usine de fabrication. « Plutôt que de créer un simple savon, pourquoi ne pas y ajouter une molécule pour lutter contre les moustiques ? », se demande-t-il un jour sur les bancs de la fac avec Moctar Dembélé un camarade de classe. Le projet Faso Soap, le premier savon anti-paludisme, est né ce jour-là.

L’idée séduit. En 2013, les deux étudiants deviennent les premiers Africains à remporter la Global Social Venture Competition (GSVC), un concours international organisé à Berkeley, en Californie. Très vite, des particuliers passent commande, mais le savon n’en est encore qu’au stade de prototype et doit être testé en laboratoire. « Nous avions besoin de fonds pour continuer les recherches, mais aucun bailleur ne voulait financer le projet, il ne rentrait dans aucune case », se souvient Gérard Niyondiko qui poursuivra l’aventure seul après l’abandon du cofondateur.

En 2015, le vent tourne lorsqu’il rencontre le Français Franck Langevin, un passionné de nouvelles technologies en reconversion qui s’associe au projet. Une campagne de financement participatif leur permet de récolter 70 000 euros pour finir les tests en labo et se rendre compte alors « que les molécules répulsives du savon partaient avec l’eau du rinçage ». Retour à la case départ.

Les deux entrepreneurs ne se découragent pas. En 2017, après avoir lancé une analyse sociologique sur les habitudes d’hygiène domestique de mille femmes dans les villes et campagnes du pays, ils découvrent que, « au Burkina, 80 % des enfants sont pommadés avec du beurre de karité après avoir été lavés ». « La solution était là, il fallait un produit déjà ancré dans le quotidien des familles pour qu’il soit facilement adopté », poursuit Gérard Niyondiko, installé dans son bureau de La Fabrique, l’incubateur de start-up sociales ouagalais qui l’a accompagné. Pendant près de deux ans, le chercheur burundais travaille donc avec des groupements de femmes pour mettre au point un baume à double fonction, hydratant et antimoustiques, composé à 15 % de DEET, un répulsif efficace, et de produits locaux : du beurre de karité, de l’huile de coton et de la cire d’abeille. Une fois appliquée sur le corps, la crème Maïa offre au moins cinq heures de protection.

Outil complémentaire

 

« Cette pommade est un outil complémentaire. Avant le coucher, les familles, qui ne sont pas sous moustiquaires, sont très exposées. Elles utilisent peu de répulsifs – plutôt destinés aux ménages aisés – et préfèrent les spirales, moins chères, mais aussi moins efficaces », observe le chercheur Moussa Guelbeogo, qui a piloté les tests en laboratoire au Centre national de recherche et de formation sur le paludisme (CNRFP).

Au Burkina Faso, plus de 11 millions de contaminations ont été enregistrées en 2017. « Le paludisme est une vraie source d’angoisse. La maladie nous empêche de travailler pendant plusieurs jours et nous sommes très inquiets quand les enfants sont infectés », lâche Mariata Zangré, au côté de sa fille de 18 mois, qui a déjà connu deux crises, à Kombissiri, à 40 km de la capitale. Le 12 février, à quelques mois du lancement officiel de Maïa prévu pour « la prochaine saison des pluies » début juillet, les fondateurs y présentaient leur produit à une dizaine de femmes pour recueillir leurs premières impressions.

« Si ça marche vraiment, cette pommade pourrait être une bonne solution, c’est un “2 en 1”, donc j’économiserai à la fois le prix des spirales et celui du baume que l’on utilise tous les jours chez nous », indique ravie Mariata, en humant le parfum fruité qui s’échappe du petit pot de crème. Gérard Niyondiko et Franck Langevin espèrent commercialiser bientôt 100 000 pommades, qui devraient être vendues à 900 francs CFA (environ 1,30 euro) l’unité, en collaboration avec plusieurs groupements féminins de la capitale. Pour cela, le duo devra encore réunir 120 000 euros. En attendant, Gérard Niyondiko, qui vient d’être sélectionné pour la finale du concours Africa Innovation Challenge, trace sa route. Prochain objectif : obtenir l’homologation de l’OMS.

Par Sophie Douce

Source : Le Monde

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