Des chercheurs en biomédecine de l’université Duke (Caroline du Nord), en collaboration avec des chercheurs d’Inria et de l’Institut Pasteur (Paris), ont montré qu’il est utile et même nécessaire de distinguer plusieurs notions de résistance aux antibiotiques afin de préserver les antibiotiques de première ligne de notre arsenal thérapeutique.
Dans un article publié en ligne le 7 décembre dans le journal Science Advances, ces chercheurs montrent qu’il est important que les médecins soient plus attentifs à la différence entre la résistance et la simple résilience d’un agent infectieux aux bêta-lactames, des antibiotiques tels que la pénicilline et ses dérivés.
Les bactéries résistantes aux bêta-lactames peuvent survivre à une dose d’antibiotique. Ainsi, le nombre de cellules de la population bactérienne n’est pas grandement affecté. En revanche, les souches bactériennes résilientes, elles, subissent lors d’un traitement antibiotique un effondrement de leur population qui cesse lorsque des enzymes, les bêta-lactamases, que les bactéries libèrent ont dégradé l’antibiotique jusqu’à une concentration tolérable par les bactéries. Ainsi, les tests pratiqués par les cliniciens qui n’analysent que la taille des populations bactériennes traitées à un temps donné ne permettent pas de distinguer la différence de comportement entre une réponse résistante et une réponse résiliente.
« Par le passé, les cliniciens n’ont pas fait la différence entre ces deux scénarios », confie Lingchong You, professeur en ingénierie biomédicale à l’université Duke. « Mais avec la multiplication des infections par des bactéries tolérantes aux bêta-lactames, je suis persuadé que cette distinction peut devenir très importante. »
Alors qu’individuellement, une bactérie peut être résistante aux antibiotiques, la résilience n’émerge qu’au sein d’une communauté bactérienne. Ceci a lieu lorsque des cellules bactériennes produisent suffisamment de bêta-lactamases pour dégrader les antibiotiques, mais pas pour échapper au traitement initial. La mort d’une partie des bactéries et la libération des enzymes bêta-lactamases qu’elles contenaient permet à la communauté bactérienne dans son ensemble de débarrasser son environnement des antibiotiques.
Dans leurs travaux, Lingchong You et Hannah Meredith, maintenant en post-doctorat à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, ont suivi l’évolution au cours du temps des populations de plusieurs souches bactériennes tolérantes aux bêta-lactames après exposition à ces antibiotiques. Ils ont utilisé ensuite ces résultats pour quantifier les niveaux de résistance et/ou de résilience des souches bactériennes, créant pour la première fois une mesure distinguant résistance et résilience. En collaboration avec Virgile Andreani et son directeur de thèse, Grégory Batt, chercheur chez Inria et à l’Institut Pasteur, ils ont travaillé à la création d’un modèle mathématique capable de décrire et de prédire la réponse de ces souches aux applications d’antibiotiques. Ce modèle permet par ailleurs de comprendre quels paramètres biologiques sont responsables de leurs niveaux de résistance ou de résilience.
En pratique, ces recherches offrent un cadre méthodologique pour concevoir des tests permettant de mesurer rapidement et séparément les deux réponses en cas d’infection. D’après Lingchong You, ces approches devraient se généraliser dans un avenir proche.
Avec les données de résilience d’une souche, à leur disposition, les médecins pourront prescrire des traitements antibiotiques permettant de combattre l’infection pendant les temps de susceptibilité maximale de la population bactérienne. Cette approche pourrait permettre aux médecins de continuer à utiliser des antibiotiques de première ligne sur des agents infectieux, qui autrement apparaîtraient comme résistant et devraient être traités avec des antibiotiques plus spécialisés.
« Nous en sommes encore au stade où les médecins ne font pas de diagnostic détaillé du type d’infection dont souffre le patient, et se contentent de prescrire des antibiotiques qui finiront probablement par faire effet au bout de deux semaines. Sinon, ils en essaient un autre », ajoute Lingchong You. « Mais à mon avis, ces souches résistantes aux bêta-lactames qui continuent de se répandre et de se généraliser à travers le monde finiront par nous obliger à affiner nos diagnostics et à produire des protocoles de traitements plus adaptés. »
Source : Institut Pasteur