«Je recommande les chenilles dans l’alimentation infantile », dixit Salif Guel, spécialiste en agro-alimentaire

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Les chenilles entrent de plus en plus dans les habitudes alimentaires des populations au Burkina Faso. Mais il y a toujours certaines personnes qui n’en veulent pas. « C’est comme tout aliment », nous informe Salif Guel, Professeur d’agro-alimentaire au lycée professionnel Guimbi Ouattara de Bobo-Dioulasso, chargé de cours de génie industriel alimentaire à l’Université polytechnique de Bobo-Dioulasso, chargé de cours en micro-industrie à l’UCAO et module fruits et légumes à l’Université Aube nouvelle de Bobo-Dioulasso. Salif Guel évolue aussi dans le domaine de la transformation et de la consommation des aliments. Dans ce cadre, il  a mené des travaux sur les chenilles. Dans cet entretien, il nous fait comprendre que les chenilles ne peuvent faire que du bien aux populations, en dépit de leur aspect qui peut être repoussant.

« Santeactu.bf  » : Dans quelles catégories d’aliments peut-on classer les chenilles ?

Salif Guel : Les chenilles sont des aliments très riches en protéine et en oligo-éléments. Elles contiennent ce qu’on a appelé des acides aminés essentiels que l’organisme ne peut pas fabriquer et qu’il doit trouver dans des aliments. Et les chenilles en possèdent. Au niveau des chenilles, il y a 8 acides aminés essentiels. Les protéines issues des chenilles sont plus assimilables par l’organisme du consommateur que les protéines animales. Il y a aussi un certain nombre de vitamines que l’on trouve dans les chenilles.

Pourquoi les chenilles  sont-elles toujours consommées séchées ?

C’est comme tout aliment. Il faut le rendre comestible avant de le manger. Par exemple, le haricot, il faut d’abord le bouillir, le transformer avant de pouvoir le consommer. Et les chenilles, quand vous les prenez toutes vivantes, toutes fraîches, il faut certaines opérations pour permettre leur consommation et l’assimilation des éléments nutritifs des chenilles par l’Homme. Il y a quand même des dangers à manger la viande fraîche. C’est pareil aussi pour les chenilles. Donc, on les prend et on y associe l’art culinaire. Quand vous prenez les chenilles fraîches, il faut les blanchir en y ajoutant la potasse qui a pour rôle de faire tomber leurs poils. La chaleur permet une pré-coagulation des protéines contenues dans les chenilles. Après cette étape, on essore les chenilles et vous pouvez alors faire la recette que vous voulez avec. Comme les populations n’ont pas autres moyens de conservation, elles sont obligées de se rabattre sur le séchage, une des technologies les plus anciennes de conservation des aliments. Mais ce que nous déplorons en tant que scientifique, c’est que ce séchage ne suit pas la déontologie du métier. En fait, il y a assez de risques de contamination alors qu’avec des équipements bien adaptés, les chenilles séchées ne seront pas contaminées.

Les chenilles consommées en grande quantité ne constituent-t-elles pas un danger ?

C’est comme tout aliment. Même le lait qui est très bon, s’il est consommé en grande quantité, il crée des problèmes. Il faut respecter la dose journalière admissible.

La  consommation des chenilles peut-elle engendrer un malaise ?

A ce niveau, il faut reconnaître qu’il y a différents types d’individus. Il y a des gens qui sont allergiques aux chenilles. Ils présentent des boutons, des signes qui montrent que l’organisme rejette cet aliment. Pour d’autres personnes, c’est dans la tête que ça se passe. Si ces gens ne voient pas les chenilles et qu’ils en  consomment, ils vont  très bien les apprécier. Tout ce qui ne tue pas engraisse. Il ne faut pas se fier à l’apparence d’un aliment. Du moment où il y a certains qui en mangent, pourquoi eux n’en mangeraient pas ? Nous sommes en Afrique. Donc, tant que ce n’est pas le totem de quelqu’un, je ne sais pas pourquoi il n’en mangerait pas. De façon globale, il ne faut pas manger pour faire plaisir au ventre, il faut manger pour respecter les besoins de l’organisme. Tout le monde a intérêt à consommer les chenilles de karité, vu ce que cela apporte à l’organisme.

La chenille sous forme de conserve à l’huile végétale (Ph.DR)

Vous avez mené des travaux sur les chenilles. Pouvez-vous nous en parler ?

C’est depuis 2010 que j’ai initiés des travaux sur la chenille. Nous avons mis pratiquement cinq ans pour aboutir à des résultats concluants et les résultats de ces travaux comportaient trois volets. Le premier, la chenille sous forme de conserve à l’huile végétale, comme la sardine ; on peut mettre les éléments que l’on veut et le travail permet de conserver la boîte en 24 mois minimum, soit deux ans de conservation. Le deuxième volet, c’est la forme pulvérisée, c’est-à-dire les transformer en poudre pour l’alimentation infantile. Les enfants n’ayant pas de dents pour bien mâcher les aliments, on pourrait alors enrichir leur alimentation avec la poudre de chenilles. Le troisième volet, c’est la chenille séchée, comme ce que les dames font à Bobo-Dioulasso, mais quand on regarde dans quelles conditions elles sont séchées, c’est contre les règles de l’art de l’agro-alimentaire. Dans la même étude, nous nous sommes rendu compte que la chenille de karité existe un peu partout, mais ce n’est pas n’importe quel type de chenille de karité qui est comestible. Par exemple, les chenilles de karité du Plateau central ne sont pas comestibles comme celles de la région de l’Ouest qui est bien arrosée. Et cela est lié à l’écologie de chaque milieu. A l’Ouest, le taux d’humidité est relativement élevé par rapport à la région du Plateau central. De l’autre côté, des études approfondies peuvent être menées pour voir pourquoi les chenilles du Plateau central ne sont pas aussi comestibles que celles de la région de l’Ouest par exemple. C’est ce qui nous a permis d’axer nos recherches sur celles de l’Ouest parce que lorsqu’on dit Bobo-Dioulasso, hormis les silures, on voit directement les chenilles. L’objectif était de faire de la chenille, une identification protégée, en faire une spécificité de la ville de Bobo-Dioulasso. Ailleurs, vous allez voir le poivre du Penjab au Cameroun, qui est une identification protégée. Pourquoi ne pas faire également des chenilles, une identification protégée ? Avec notre étude, nous avons eu le prix de l’INERA, notamment le premier prix de l’innovation, à la foire internationale de Bobo-Dioulasso. Après la foire, le maire de Bobo-Dioulasso d’alors, Salia Sanou, est venu nous voir et nous a dit que les résultats de notre étude l’intéressaient beaucoup. Mais quand il est reparti, l’insurrection est passée par là et il n’est plus maire aujourd’hui. Mais on a toujours dit que l’Administration est une continuité, mais les autorités actuelles ont sûrement d’autres chats à fouetter. Sinon, c’était sur la bonne voie. Nous avons les résultats de la recherche, les équipements qu’il faut et il suffit d’acheter ces équipements, les monter, organiser la collecte, faire la production et organiser la distribution. Nous avons des équipements en miniature, mais s’il faut produire en grande masse, il faut une logistique adaptée.

Quelles sont les démarches que vous avez menées dans ce sens ?

Personnellement, je m’étais fié au mot du maire central qui disait que la commune allait s’en approprier. La science est universelle. J’ai fait des recherches, je suis parvenu à des résultats. Si des promoteurs veulent les valoriser, je les leur donnerai. Quand je regarde la filière chenille, elle est beaucoup plus exploitée par les étrangers que par les Burkinabè. En témoigne les chargements de camions qui exportent les chenilles vers les pays voisins et ce, sans aucune valeur ajoutée. Alors qu’on aurait pu les transformer dans les règles de l’art et les faire traverser la frontière comme il se doit.

Quand on prend le contexte alimentaire mondial, la FAO est en train de prôner ce qu’on appelle l’entomophagie qui est la consommation des insectes. Le concept veut que d’ici quelques années, les protéines d’origine animale soient remplacées par les protéines en provenance des insectes.

Pourquoi c’est à la chenille que vous vous êtes intéressé ?

Etant dans le domaine de l’agro-alimentaire, quand nous avons été affectés ici, nous nous sommes dit que, voilà quelque chose que la population locale consomme pendant une période et qui disparaît en peu de temps, pendant que les gens en ont encore besoin.  Alors pourquoi ne pas transformer et conserver cet aliment pour permettre à la population d’avoir le même produit pendant un long temps dans l’année ? C’est notre mission de pouvoir prolonger la durée de vie d’un aliment afin de le mettre à la disposition du consommateur.

Dans quels cas spécifiques peut-on recommander la consommation des chenilles ?

Je recommande les chenilles dans l’alimentation infantile. Selon nos travaux, c’est la chenille pulvérisée qu’on mettrait à disposition des enfants. On peut donc enrichir leur bouillie ou leur soupe avec cette poudre. Les enfants ont des tissus à fabriquer pour leur croissance et grâce aux chenilles, ils auront les protéines nécessaires pour fabriquer ces tissus. Surtout dans nos pays où il y a la malnutrition infantile chronique, je pense que l’on peut pallier cette malnutrition avec les chenilles. Dans certains villages, on donne du tô délayé aux enfants ou de la bouillie qui ne sont pas assez riches. Donc, à travers une alimentation associée aux chenilles, les enfants pourront échapper à la malnutrition.

En ce qui concerne les adultes, d’aucuns diront que la chenille est régulatrice de la tension artérielle et d’autres vous trouveront d’autres vertus liées à la chenille. En tout cas, il n’y a pas de honte à manger les chenilles, surtout qu’elles nous fournissent des acides aminés indispensables au bon fonctionnement de l’organisme.

Quel est, selon vous, le problème de la recherche au Burkina Faso ?

Au niveau de la recherche, les gens travaillent, mais c’est la partie économique qui ne suit pas. Il ne faut pas demander à un chercheur de vulgariser les résultats de sa recherche. Il ne faut pas demander à un chercheur de promouvoir ou de mettre en pratique les résultats de ses recherches, parce qu’il n’a pas les financements nécessaires. Mais depuis deux ans, il y a une agence qui a été mise sur pied, l’Agence nationale de la vulgarisation des résultats de la recherche (ANVAR). Je pense que celle-ci essaie de faire ce qu’elle peut. Le gros problème, c’est que les opérateurs économiques n’ont pas confiance aux résultats de nos recherches. Ils préfèrent aller acheter, importer des produits de la recherche pour venir les mettre sur le marché et nous transformer en simples consommateurs. La question, c’est comment faire pour  établir une jonction entre les opérateurs économiques et les chercheurs. Comment faire pour que les opérateurs économiques aient confiance aux résultats des chercheurs ? C’est ce pont qu’il faut arriver à établir.

Quel est votre cri du cœur ?                                                                                              

Mon cri du cœur est que les opérateurs économiques aient confiance aux chercheurs. Ils n’ont qu’à aller au CNRST, demander les résultats.

Interview réalisée par Françoise DEMBELE

 

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