«POUR UN SANG DE QUALITE ON NE DOIT PAS RECOMPENSER UN DONNEUR », dixit Dr ALAIN KONSEYBO

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Dr Alain  Konseybo est médecin chef du service collecte au niveau du Centre régional de transfusion sanguine de Ouagadougou. Avec lui, nous avons abordé différentes questions relatives au don du sang dont la gratuité du sang et la motivation des donneurs. Il nous fait comprendre que « le don de sang doit être gratuit, bénévole et volontaire ».

Santeactu.bf : Est-il facile de gérer un Centre de transfusion sanguine ?

Dr Alain Konseybo : Tout ce qui concerne la santé est assez délicat. Donc, il est évident que c’est difficile de gérer un service de santé quelle que soit sa forme, encore plus un centre de transfusion sanguine parce qu’au niveau du système de santé, c’est un peu nouveau car le Centre national de transfusion sanguine date de 2000. Pour le moment, c’est difficile de changer ce qui existe tant au niveau des donneurs qu’au niveau des praticiens parce qu’avant, on avait juste une banque de sang au niveau des hôpitaux qui donnait du sang aux praticiens. Maintenant c’est un centre qui a des règles que les praticiens doivent suivre. Malheureusement beaucoup d’entre nous, que ce soit les paramédicaux que les médecins, beaucoup n’ont pas reçu une formation complète en matière de transfusion sanguine.  Donc, c’est assez difficile pour nous.

Le don de sang est-il un réflexe pour les Burkinabè ?

Oui et non. Oui, parce que quand on se compare à la sous-région, le Burkina Faso peut se féliciter en matière de don de sang parce qu’il y a un travail énorme qui a été abattu. De plus en plus, des Burkinabè se déplacent d’eux-mêmes sans qu’on n’ait besoin de les appeler pour un don de sang. Ce qui est notable, parce que dans la majorité des pays qui nous entourent, c’est toujours des dons familiaux, des dons de remplacement. Mais un réflexe altruiste, sans savoir qui va en bénéficier, il n’y a pas beaucoup qui le font. Au Burkina, presque 70% de nos dons se composent de donneurs qui viennent d’eux-mêmes sans forcément savoir qui va en bénéficier.

Non, parce que nous n’avons toujours pas atteint le niveau où nous pouvons nous vanter qu’aucun Burkinabè ne meurt par manque de sang. Il y a toujours un travail à faire pour que nous puissions atteindre cet objectif de zéro décès par manque de sang au Burkina Faso.

En quoi consiste le travail qui doit être fait ?

C’est un travail de sensibilisation et de conscientisation. La médecine évolue. Nous sommes pour le moment à une première étape où nous parlons de don de sang. Il arrivera un moment où l’on parlera de don d’organes. Si pour la première étape, il y a un frein, quand notre  médecine va évoluer au don d’organes, nous n’aurons pas de volontaires. Le travail est que les gens puissent accepter que l’on puisse aider quelqu’un sans connaître la personne. Et cela dépasse le cadre médical ; il faut qu’il y ait cette fraternité qui existait dans nos sociétés et qui, avec la modernité, a disparu. Alors que pour le don de sang, c’est là où les barrières doivent tomber parce que la science n’a pas encore inventer du sang. C’est pourquoi on incite les grands donneurs à venir avec leurs enfants pour qu’ils voient déjà le reflexe.

Qui est habilité à donner du sang ?

Au Burkina Faso, la loi a fixé des conditions d’âge. Il faut être majeur, c’est-à-dire avoir 18 ans au minimum et 60 ans au maximum. Au niveau médical, il faut peser au moins 50 kilogrammes et être en bonne santé apparente.

Les poches de sang que vous récoltez couvrent-elles votre besoin en sang ?

Non. Les besoins sont estimés à 180 000 poches par an pour le Burkina Faso parce que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) fixe un objectif de 1% pour qu’une société, un pays soit au-dessus du besoin. C’est-à-dire que si vous avez une population de 18 millions, si 180 000 personnes donnent du sang dans l’année, aucun Burkinabè ne va mourir par manque de sang. Malheureusement ce n’est pas le cas ; nous peinons à avoir 100 000 poches. Donc, il y a un gap de près de 80 000 poches. Ce que nous arrivons à collecter pour le moment n’arrive pas à couvrir tous les besoins en sang du Burkina Faso.

Y a-t-il une augmentation du nombre des personnes qui donnent le sang ?

Au niveau de la base de données, c’est assez difficile à apprécier. Mais il y a une augmentation significative du nombre de personnes qui donnent leur sang. Le centre de Ouagadougou, quand il ouvrait au niveau de son site fixe, il avait en moyenne 3 à 5 donneurs par jour en 2005. Le meilleur donneur, c’est celui qui donne régulièrement, non seulement cela nous permet d’avoir du sang tout le temps, mais aussi parce qu’avec le donneur régulier nous n’avons  plus d’inquiétudes. Nous savons qu’il est déjà apte et quand nous prenons son sang, nous sommes un peu sûr par rapport à celui qui donne de façon ponctuelle. Il faut qu’un travail soit fait pour que nous ayons de plus en plus de donneurs assez fidèles qui puissent donner régulièrement du sang au moins deux à trois fois par an.

Qu’est-ce qui est fait pour fidéliser les donneurs de sang ponctuels ? 

Selon l’OMS, pour avoir un sang de qualité on ne doit pas récompenser un donneur de sang. On ne doit pas intéresser le don de sang. C’est-à-dire que le don de sang doit être gratuit, bénévole, volontaire. On ne doit pas forcer le donneur parce que si le donneur n’accepte pas dire la vérité de son plein gré lors du questionnaire, il peut transmettre des maladies à celui qui va recevoir son sang. Les examens ne peuvent pas vérifier toutes les maladies. Une fois que le don de sang est rémunéré, ou s’il y a un encouragement particulier, le don de sang devient comme une compétition. Le donneur, même s’il vit des situations qui interdisent le don, il sera tenté de tricher parce qu’il veut la récompense. C’est ce qui fait que le don de sang doit être bénévole et volontaire. C’est la grosse difficulté parce qu’en Afrique, encourager revient à donner quelque chose. Motiver revient à donner quelque chose. Ce qui fait que tout ce que nous avons comme éléments de motivation, ce sont les encouragements, les lettres de félicitation et autres, mais les gens trouvent que c’est inutile parce que pour eux, pour qu’on les encourage, il faut quelque chose de matériel. Il y a certains qui veulent qu’on leur donne du riz, de l’huile, des cartes de donneurs qui leur permettent d’avoir des soins gratuitement. Alors qu’il faut que le donneur n’attende rien d’autre que la satisfaction morale d’avoir accompli un devoir, d’avoir aidé son prochain. Il est difficile de fidéliser le donneur de sang parce que ceux qui comprennent les choses, qui acceptent, chaque trois mois pour les hommes et chaque 4 mois pour les femmes, de donner leur sang sont toujours minoritaires. Il faut que les gens acceptent le changement de comportements. Il ne faut pas attendre quelque chose en faisant le don de sang.

Est-ce qu’après la collecte, beaucoup de poches s’avèrent inutilisables ?

Si nous étions à un niveau de compréhension, il y a ce qu’on appelle l’auto-exclusion. Quand vous ne remplissez pas un certain nombre de conditions, vous savez que vous ne pouvez pas faire un don de sang. Par exemple, si vous avez eu des relations sexuelles occasionnelles non protégées vous êtes dans une contre-indication temporaire. Il faut un certain temps. Si vous avez un certain nombre de partenaires, vous ne pouvez pas donner du sang. Si vous avez déjà consommé la drogue ou que vous prenez la drogue, vous ne pouvez pas donner du sang. Si vous avez fait des tatouages ou des piercings il y a moins d’un an, vous ne pouvez pas donner du sang. Si vous avez été opéré en moins de six mois, vous ne pouvez pas donner du sang. Si vous allaiter un enfant qui a moins de six mois, vous ne pouvez pas donner du sang. Quand on est au courant de cela, on peut facilement faire l’exclusion, mais malheureusement ce qui se fait ici, c’est que les gens s’organisent ils invitent les gens à venir faire le don de sang et pire, on dit au donneur, si tu fais un don de sang, tu auras des résultats de telle sorte que le donneur, quel que soit ce que vous allez lui demander, il dira « non » parce qu’il a besoin de ses résultats. Cela fait que nous prenons parfois beaucoup de poches qui sont inutilisables parce que certains donnent pour avoir des résultats. A la fin, ils ont leurs résultats, mais nous nous retrouvons avec une poche qui n’est pas utilisable alors qu’actuellement, la poche de sang au Burkina Faso est gratuite mais vous et moi, nous contribuons à près de 35 000 F CFA pour une poche de sang. Donc une poche de sang collectée non utilisable, cela fait 35 000 F CFA de gaspillé.

Pouvez-vous nous situer sur le nombre de poches de sang inutilisables lors d’une collecte ?

On ne parlera pas de nombre de poches inutilisables mais de taux, de marqueurs. Et ce qui est recherché, c’est le VIH, l’hépatite B, l’hépatite c, la syphilis. Ce sont ces quatre maladies qui sont recherchées et qui peuvent être transmises par la transfusion  sanguine. Les taux sont parfois élevés. Au niveau national, nous sommes à moins de 1% de taux de prévalence pour le VIH, mais au niveau des poches de sang, nous sommes à 2 à 3%. Alors  que l’idéal c’est 0%. La politique actuelle, ce n’est pas de faire sortir forcément ces données parce qu’on veut que les gens viennent donner leur sang.

Quelle conclusion tirez-vous de ces statistiques ?

Il faut travailler à diminuer le nombre de poches inutilisables. Cela permet à certaines personnes d’avoir des résultats et d’avoir un début de prise en charge.

Quelles infections courantes rencontrez-vous souvent ?

Le VIH, l’hépatite B, l’hépatite C, la syphilis. Au premier plan, c’est l’hépatite B. Et ce, pour plusieurs raisons parce que même au niveau de la population, le nombre de personnes souffrant de cette maladie est assez élevé.

Est-ce qu’au CNTS, on vend le sang ?

Au Burkina, le sang est gratuit mais il est important de préciser le contexte. Si vous vous rendez dans une formation sanitaire publique, sur toute la ligne, le sang est gratuit. Ce qui vous sera demandé, c’est le transfuseur. Pour connaître le groupe sanguin du malade, on demandera de payer l’examen. Si vous êtes dans une formation sanitaire privé ou semi-privé, il y a des frais et ces formations privées ne bénéficient pas de la subvention de l’Etat. Donc on vous facturera l’acte transfusionnel qui est différent de la poche de sang. Il y a aussi des frais de transport. Sinon, si on essaie de vous vendre le sang, vous partez directement voir la police ou le CNTS et nous allons porter plainte contre la structure ou la personne qui veut vendre le sang. Et puis, il n’y a de spéculation que là où il y a la rareté ou manque de sang. Devant la mort, un parent oublie tout ce qu’il y a comme éthique ; ce qui l’intéresse c’est sauver son enfant, peu importe le prix à payer.

Quelles difficultés rencontrez-vous au CNTS ?

Ce sont les mêmes difficultés qu’au niveau du système de santé. La demande est forte. Nous avons des problèmes de matériels. Nous n’avons pas assez de personnel. L’état fait des efforts, mais du moment où c’est gratuit, on n’a du mal à faire des prospections pour pouvoir faire des acquisitions.

Les collectes organisées par les structures sont bien mais, il est idoine que les donneurs se déplacent vers le centre pour les dons de sang. Notre objectif, c’est d’avoir des sites qui se rapprochent des populations.

Comment les choses se passent-elles après la collecte ?

A notre niveau, après le don du sang total, nous le séparons en globules rouges, en plasma et en plaquettes. Quand quelqu’un a besoin de globules rouges, il fait la demande qui parvient au CNTS qui va faire des tests de compatibilité avec le sang du malade pour qu’on puisse délivrer du sang au malade. Le plasma est utilisé pour traiter certaines pathologies où la personne saigne beaucoup parce que dans le plasma vous avez certains éléments utiles qui permettent d’arrêter le saignement. Les plaquettes aussi servent à arrêter parfois les saignements. Et il y a des maladies qui font diminuer les plaquettes comme la dengue.

Le plasma peut être conservé une année, les globules rouges se conservent au maximum un mois. Le problème, ce sont les plaquettes qui se conservent au maximum trois jours.

Interview réalisée par Françoise DEMBELE

 

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